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 Interview du ministre de la Justice

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ibukafrance
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MessageSujet: Interview du ministre de la Justice   Interview du ministre de la Justice Icon_minitimeJeu 4 Jan - 9:23

Après le génocide de 1994-Interview de Tharcisse Karugarama (ministre rwandais de la Justice) : “Il fallait punir les auteurs du génocide”
(Notre Voie 03/01/2007)

Le génocide de 1994 marquera durablement la vie du Rwanda. Il a été l'occasion pour le gouvernement de ce pays de réformer de fond en comble le système judiciaire. Le ministre rwandais de la Justice a donné les grandes lignes de ces réformes à des journalistes ivoiriens qui ont effectué le voyage de Kigali pour mieux comprendre.

Propos liminaires

Les réformes judiciaires au Rwanda ont commencé après la guerre de 1994. Comme vous le savez, il y a eu le génocide. Les juges et les procureurs ont été tués. Par conséquent, il y avait une sorte de vide judiciaire, et malheureusement avec des centaines de détenus. Il fallait trouver des solutions judiciaires. Il fallait punir les auteurs du génocide, c'était très important. Mais aussi, il fallait stabiliser le pays. On a essayé donc, de 1994 à 1998, d'adapter le système judiciaire sur la question du génocide. Après quatre ans d'essai, c'était évident qu'on ne pourrait jamais réussir. Il y avait des centaines de détenus et un tout petit nombre de magistrats. Magistrats debout, magistrat assis. Donc il était nécessaire de créer des innovations pour résoudre les problèmes causés par le génocide. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté le système appelé Gacaca. C'est un système local bien connu avec trois missions très importantes :
1) Punir les malfaiteurs;
2) Eradiquer l'impunité ;
3) Réconcilier les parties, les coupables et les victimes.
En face du génocide, notre pays n'avait pas beaucoup de choix, parce que le système judiciaire colonial n'était pas assez adapté à notre problème. Si on avait choisi le système que vous connaissez très bien vous-mêmes, il aurait fallu plus de trois cents ans pour juger les présumés auteurs du génocide. On s'est donc référé à notre histoire. Pour tout dire, on a reculé pour mieux sauter. On a adopté le système du Gacaca. C'est un système public. Là où il n'y a pas de procureur, de juge, c'est la population qui est juge, procureur et témoin. Mais elle choisit, par élection, les juges des gacaca. Ils sont élus par la population. La population participe au procès en tant que témoin à charge et à décharge. Après, le panel des juges donne le verdict.
Il n'est pas évident que ce système pourrait être appliqué partout dans le monde. Mais, dans notre pays, ça réussit. C'est une innovation incroyable. Maintenant, on a plus de 30.000 juridictions Gacaca et, de juillet jusqu'en fin novembre, elles ont jugé plus de 40.000 dossiers. Si vous faites des comparaisons, le système des Gacaca condamne et acquitte. C'est une juridiction presque professionnelle. Ce qui nous intéresse, c'est que ça rend la justice. C'est que les parties au procès ont la chance, l'opportunité de se défendre. C'est qu'il y a des témoins à charge, à décharge. Le mensonge ne peut pas exister. Le génocide n'a pas eu lieu pendant la nuit, c'était en plein jour. Donc la population était au courant. Tu ne peux pas dire : “Non j'étais de l'autre côté. Ce n'était pas moi”. La population va dire : “Vous étiez là avec tel ou tel”. C'est une procédure vraiment très ouverte. Transparente. Et le résultat c'est que cela a pu stabiliser notre société. Douze ans après le génocide, vous ne pouvez même pas imaginer ce qui s'est passé en 1994. Aujourd'hui, c'est un pays qu'on peut dire normal. On a toujours des détenus. Beaucoup de détenus, même aujourd'hui. Mais on a trouvé le médicament. Le système traditionnel Gacaca, mais adapté au système de justice moderne. Une innovation qu'on pourrait utiliser pour résoudre les problèmes politico-économiques et judiciaires. Parce que Gacaca ne s'applique pas seulement à l'aspect judiciaire, mais aussi l’aspect social et l'aspect économique d'un seul coup. On a fait aussi beaucoup d'innovations dans la réforme du système judiciaire. Notre système était presque comme le vôtre. Avant 1994, il y avait beaucoup de dossiers pendants devant les juridictions. Certains dataient de plus de cinq ans, de dix ans même. Il y avait ce qu'on appelle la Cour de cassation dans notre pays. Et vous en avez, je crois. C'était une juridiction qui ne jugeait pas les dossiers définitivement. C'était une juridiction qui cassait les décisions et renvoyait les dossiers dans une autre juridiction. Et ça faisait toujours le même circuit. Un dossier pouvait revenir devant la Cour de cassation trois fois. Pour nous, c'était un problème. Nous considérons que, s'il y a un conflit, il faut vraiment qu'il soit jugé définitivement. Nous avons donc aboli la Cour de cassation.
On avait six chambres à la Cour suprême : la Cour de cassation, la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat, la Cour des comptes, etc. On a aboli tout cela et on a créé une seule Cour avec un seul président, un seul vice-président et douze magistrats. Et c'est tout. Au lieu d'avoir des structures qui ne faisaient rien. Maintenant, la Cour suprême juge les dossiers constitutionnels, pénaux et civils en dernier ressort. Il y a des dossiers qui n'iront jamais devant la Cour suprême, parce que les autres juridictions font le tri. Cela crée les conditions favorables pour les juges qui restent. Ils sont désormais mieux payés. Deux cents fois plus.
Il y a eu aussi des changements dans les autres juridictions. En créant des compétences spécifiques, en essayant de limiter les dossiers qui entrent dans les juridictions et en faisant l'effort de faire sortir les dossiers qui s'y trouvent. De là, on a commencé à avoir un rythme normal.
On a créé ce qu'on appelle les Abonzi. Ce sont les comités de médiateurs. C'est même inclu dans la Constitution. Les cas simples d'infractions et de délits, des affaires civiles qui n'excèdent pas un certain montant d'argent sont obligatoirement résolus par les comités des conciliateurs. Donc vous ne pouvez pas aller devant les juridictions sans montrer que votre affaire a été traitée par le comité des médiateurs et que vous n'avez pas été satisfait. Ainsi, désormais, plus de 60% des dossiers civils simples sont traités au niveau de la base. Comme ça, on limite le nombre des dossiers qui se trouvent devant les juridictions. Pour donner le temps au juge et aussi combattre la petite corruption qui pourrait avoir cours dans les juridictions s'il y a beaucoup de dossiers devant le juge. La justice est démystifiée. Ce n'est pas une justice des avocats, des juges, etc. C'est la justice pour tout le monde. La gouvernance pour tout le monde. Dans un pays, on doit adopter des systèmes qui impliquent la population, où la population a un rôle à jouer”.

Pourquoi avoir créé les gacaca alors que le Tribunal pénal pour le Rwanda (TPIR) existe?
Le TPIR est une juridiction spéciale créée par les Nations unies pour juger les personnes qui se trouvent en dehors du Rwanda et de notre juridiction nationale. Le gacaca est un système traditionnel qui s'occupe des personnes des deuxième et troisième catégories, c'est-à-dire les exécutants des basses besognes. Il ne traite pas les dossiers de première catégorie qui concernent les auteurs, c'est-à-dire les personnes qui ont planifié, commandité le génocide. Ceux-ci sont jugés par les juridictions classiques comme les tribunaux de première instance ou de grande instance. Des relations existent entre les gacaca, le TPIR et le système judiciaire normal, mais il n'y a pas de collaboration formelle et directe. Ce qui se passe, c'est que le TPIR travaille avec les ministères des Affaires étrangères et de la Justice. Mais chaque information recueillie par les gacaca est transmise au TPIR par ce canal.

Des Rwandais, par peur de comparaître devant les gacaca, ont fui le pays pour s'exiler notamment au Burundi. Quel est l'état des lieux?
Il n'y a plus beaucoup de réfugiés rwandais. Ceux qui ont fui pour le Burundi ont regagné le pays. Il y a certes des politiciens qui ont fui le pays pour se réfugier en Europe et qui continuent de combattre le régime à travers médias et internet. Mais ceux ont fui le Rwanda pour le Burundi par peur des sanctions des gacaca ont regagné le pays. Ils ont compris que le système fonctionne normalement et n'est pas un bras séculier pour régler des comptes. Il y a eu au départ beaucoup de mensonges et de rumeurs qui ont entraîné l'exode. Mais les efforts engagés par le gouvernement rwandais ont porté leurs fruits.

La communauté internationale définit des standards pour la démocratie, la justice, etc. N'avez-vous pas peur d'être accusé de ne pas respecter les standards internationaux ?
Vous posez-là une question de standard. Ici, nous, nous pensons que le standard normal et souhaité est celui qui corrige et trouve des solutions à notre problème. Nous sommes les premiers bénéficiaires du système que nous créons. Si je vais dans un magasin pour acheter un costume, je ne vais pas prendre celui de Tony Blair ou de Bush. J'achèterai le costume qui me convient. Parce que si vous allez pour chercher les costumes des autres, vous allez être perdus. Le standard que nous suivons ici est celui qui doit répondre aux aspirations de nos compatriotes. Si notre population est satisfaite, si elle est contente du système gacaca, nous ne pouvons qu'applaudir. Et alors, nous allons essayer d'expliquer aux autres que le système résout notre problème. Le système gacaca a été condamné par des “intellectuels”, mais maintenant ils viennent d'Amérique, d'Europe pour constater les miracles que ce système, jadis vomi, réalise et comment ce système parvient à résoudre les problèmes du génocide. Les normes internationales peuvent commencer ici, en Côte d'Ivoire, et pas seulement dans un seul continent ou un seul pays. C'est notre point de vue. Nous faisons des innovations dans notre système judiciaire, politico-économique, juste pour permettre à notre pays de faire un pas en avant en sortant des sentiers battus.

L'ancien président de la République, pasteur Bizimungu, est toujours emprisonné. A-t-il été jugé, et que lui reproche-t-on?
L'ancien président a été jugé et condamné à quinze ans de prison pour plusieurs chefs d'accusation au nombre desquels l'atteinte à la sûreté de l'Etat et les détournements de deniers publics. Il a utilisé toutes les voies de recours mis à sa disposition. Pour obtenir une remise de sa peine, il ne lui reste plus que la grâce présidentielle ou celle de Dieu.

Quelles sont les échelles de peines infligées par les gacaca?
Les gacaca ne donnent pas des peines excédant trente ans. Ils n'infligent pas, non plus, la prison à perpétuité ou la peine capitale. Leurs peines vont donc d'un jour à trente ans. Dans l'exercice de ses attributions, le Rwanda a instauré les TIG (travaux d'intérêt général) pour des travaux communautaires. Quand un détenu a purgé la moitié de sa peine, il consacre le reste de la condamnation à se mettre au service de la communauté.

Il y a ici un débat sur la peine de mort. Quelle est la position qui s'est finalement dégagée ?
Un projet de loi se trouve en ce moment sur la table des députés qui prévoit l'abolition de la peine de mort. Notre pays a connu beaucoup de morts. C'est le moment de donner un signal de réconciliation et de revalorisation de la vie.

Pourquoi avez-vous instauré la commission nationale sur le génocide?
La Constitution de 2003 prévoit la création d'une commission nationale sur le génocide. Le génocide n'est pas une vue de l'esprit. C'est une dure réalité vécue par les Rwandais. Le génocide est toujours un acte planifié et réfléchi. Pour protéger la population contre ses effets et la rassurer que de tels actes n'auront plus lieu dans notre pays, il a été décidé qu'une commission nationale doit être établie pour suivre au jour le jour toutes les procédures engagées dans ce cadre. Ce n'est pas une commission d'enquête, mais une commission pour recueillir toutes les informations sur le génocide afin d'en comprendre les ressorts et les manifestations dans le but d'éduquer nos compatriotes.
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MessageSujet: Re: Interview du ministre de la Justice   Interview du ministre de la Justice Icon_minitimeJeu 4 Jan - 9:24

suite:

A quel souci répond cette autre commission chargée d'établir le rôle de la France dans le génocide rwandais?
C'est une commission établie par le gouvernement, pas vraiment pour enquêter, mais pour rassembler les témoignages, les preuves qui existent sur le fait du génocide. Cette commission travaille depuis quatre mois environ sur la collecte des informations. Les travaux se déroulent normalement, mais comme vous le savez, un conflit a éclaté avec nos amis les Français. Quand la commission a commencé les audiences publiques, la France a réagi très rapidement. Elle a commencé la lutte contre la commission en accusant notre pays de vouloir politiser le procès, et elle a lancé des mandats d'arrêt internationaux contre des personnalités de notre Etat. Mais quand vous lisez le dossier du juge français, il est vide. Il a été établi sur la base des témoignages des politiciens qui ont fui le pays, des gens qui, reconnaissant leur participation à la planification du génocide, font partie des premières catégories des génocidaires, y compris l'épouse de l'ancien Président Juvenal Habyarimana et des détenus d'Arusha qui sont déjà condamnés. C'est sur ces preuves que le juge Bruguière a basé son ordonnance. C'est étonnant mais comme nous l’avons expliqué, nous étions obligés de rompre les relations diplomatiques avec la France. Et nous allons très prochainement saisir les juridictions internationales compétentes.

Si l'implication de la France dans les faits de génocide est avérée, que ferez-vous?
Si l'information indique clairement le rôle de la France dans le génocide rwandais, nous allons saisir les juridictions internationales compétentes pour juger la France. Nous sommes en train de poser les premiers pas. Le pays ne meurt pas, le Rwanda va nous survivre. Si nous ne menons pas à terme ce combat, nos enfants et petits-enfants vont continuer la lutte pour faire triompher la vérité sur le génocide rwandais.

La conclusion du ministre de la Justice
Nous avons fait beaucoup de réformes quelquefois très profondes. Nous avons maintenant des expériences que nous pouvons échanger avec les pays africains. Nous avons maintenant un système judiciaire mixte: on a pu garder les bons côtés du système franco-belge, on a aussi rejeté beaucoup de choses qui étaient inutiles et qui encombraient notre système judiciaire. On a intégré des aspects du système du common law, le droit anglo-saxon, pour enrichir notre ancien système.

La France dans le génocide

Au Rwanda, en 1994, la France soutenait le pouvoir en place, celui de Juvénal Habyarimana. Pendant le déroulement du génocide, d'avril à juillet de la même année, la France a continué à soutenir le régime en place. Quand bien même le massacre des Tutsis avait déjà commencé suite à la mort du président Habyarimana dont l'avion avait été abattu, la France a continué à appuyer militairement et matériellement le régime génocidaire. Et quand le pays de Chirac s'est rendu compte que ses poulains perdaient du terrain, il a mis en place l'opération turquoise pour couvrir la fuite, au Zaïre, des génocidaires. C'est une histoire bien connue. C'est pourquoi, toute initiative venant de la France, et tendant à mettre en cause le régime de Paul Kagamé dans la survenue des massacres est forcément frappée du sceau de la suspicion. Car, en réalité, la place des autorités françaises se trouve dans le box des accusés au tribunal pénal international pour le Rwanda qui siège à Arusha, en Tanzanie. Au fond, les Théoneste Bagosora et autres personnalités du pouvoir génocidaires apparaissent comme les bras armés d'une France qui se nourrit du sang des Africains. Et la commission de recension des témoignages sur le rôle de la France dans le génocide rwandais fait déjà trembler toute la France politique qui croit pouvoir s'en sortir en actionnant un juge aux ordres.

Augustin Kouyo
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MessageSujet: Re: Interview du ministre de la Justice   Interview du ministre de la Justice Icon_minitimeJeu 4 Jan - 9:25

M. THARCISSE KARUGARAMA, MINISTRE DE LA JUSTICE, A PROPOS DU GENOCIDE RWANDAIS: "Nous allons poursuivre la France devant les juridictions compétentes"
(Le Matin d'Abidjan 03/01/2007)

Si le Rwanda offre au monde le visage reluisant qui est aujourd'hui le sien, si ce pays ravagé par un génocide en 1994 présente aujourd'hui une image réussie où Tutsis et génocidaires Hutus cohabitent en toute intelligence, c'est bien parce que son système judiciaire a su mettre en place les mécanismes d'un tribunal local où procès, condamnation et pardon sont les maîtres mots. Dans l'entretien qu'il a bien voulu accorder à la délégation de journalistes ivoiriens partis s'instruire à l'école rwandaise, M. Tharcisse Karugarama, ministre rwandais de la Justice, situe sur l'état des lieux judiciaires dans son pays non sans aborder le chapitre de la révolution du système du Gacaca de même que l'éventualité d'une poursuite de la France, si son rôle est établi dans le génocide rwandais.

Propos liminaires Les réformes judiciaires au Rwanda ont commencé après la guerre de 1994. Comme vous le savez, il y a eu le génocide. Les juges et les procureurs ont été tués. Par conséquent, il y avait une sorte de vide judiciaire, et malheureusement avec des centaines de détenus. Il fallait avoir des solutions judiciaires. Il fallait punir les auteurs du génocide, c'était très important. Mais aussi, il fallait stabiliser le pays. On a essayé donc, de 1994 jusqu'en 1998, d'adapter le système judiciaire sur la question du génocide. Après quatre ans d'essai, c'était évident qu'on ne pourrait jamais réussir. Il y avait des centaines de détenus et un tout petit nombre de magistrats. Magistrats debout, magistrat assis. Donc il était nécessaire de créer des innovations pour résoudre les problèmes causés par le génocide. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté le système appelé Gacaca. C'est un système local bien connu avec trois missions très importantes dans notre histoire :
1) Punir les malfaiteurs;
2) Eradiquer l'impunité ;
3) Réconcilier les parties, les coupables et les victimes.
Face au génocide, notre pays n'avait pas beaucoup de choix, parce que le système judiciaire colonial n'était pas assez adapté à notre problème. Si on avait choisi le système que vous connaissez très bien vous-mêmes, il aurait fallu plus de trois cent ans pour juger les présumés auteurs du génocide. On s'est donc référé à notre histoire. Pour tout dire, on a reculé pour mieux sauter. On a adopté le système du Gacaca. C'est un système public. Là où il n'y a pas de procureur, de juge, c'est la population qui est juge, procureur et témoin. Mais elle choisit, par élection, les juges des Gacaca. Ils sont élus par la population. La population participe au procès en tant que témoin à charge et à décharge. Après, le panel des juges donne le verdict. Il n'est pas évident que ce système soit appliqué partout dans le monde, mais dans notre pays, ça réussit. C'est une innovation incroyable. Actuellement, on a plus de 30.000 juridictions Gacaca et de juillet jusqu'en fin novembre; elles ont jugé plus de 40.000 dossiers. Si vous faites des comparaisons, le système des gacaca condamne et acquitte. C'est une juridiction presque professionnelle. Ce qui nous intéresse, c'est que ça donne la justice. C'est que les parties au procès ont la chance, l'opportunité de se défendre. C'est qu'il y a des témoins à charge, à décharge. Le mensonge ne peut pas exister. Le génocide n'a pas eu lieu pendant la nuit, c'était en plein jour. Donc la population était au courant. Tu ne peux pas dire non j'étais de l'autre côté, ce n'était pas moi. La population va dire : "Vous étiez là avec tel ou tel". C'est une procédure vraiment très ouverte. Transparente. Et le résultat, c'est que cela a pu stabiliser notre société. Douze ans après le génocide, vous ne pouvez même pas imaginer ce qui s'est passé en 1994. Aujourd'hui, c'est un pays qu'on peut dire normal. On a toujours des détenus. Beaucoup de détenus, même aujourd'hui. Mais on a trouvé le médicament. Le système traditionnel Gacaca, mais adapté au système de justice moderne. Une innovation qu'on pourrait utiliser pour résoudre les problèmes politico-économiques et judiciaires. Parce que Gacaca ne s'applique pas seulement à l'aspect judiciaire, mais aussi aux aspects social et économique d'un seul coup. On a fait aussi beaucoup d'innovations dans la réforme du système judiciaire. Notre système était presque comme le vôtre. Avant 1994, il y avait beaucoup de dossiers pendants devant les juridictions. Certains dataient de plus de cinq ans, de dix ans même. Il y avait ce qu'on appelle la Cour de cassation dans notre pays. Et vous en avez, je crois. C'était une juridiction qui ne jugeait pas les dossiers définitivement. C'était une juridiction qui cassait les décisions et renvoyait les dossiers devant une autre juridiction. Et ça faisait toujours le même circuit. Un dossier pouvait revenir devant la cour de cassation trois fois. Pour nous, c'était un problème. Nous considérons que s'il y a un conflit, il faut vraiment qu'il soit jugé définitivement. Nous avons donc aboli la cour de cassation. Nous avions six Chambres à la Cour suprême : la cour de cassation, la cour constitutionnelle, le conseil d'Etat, la cour des comptes etc. On a aboli tout cela et on a créé une seule cour avec un seul président, un seul vice-président et douze magistrats. Et c'est tout. Au lieu d'avoir des structures qui ne faisaient rien. Maintenant la Cour suprême juge les dossiers constitutionnels, pénaux et civils en dernier ressort. Il y a des dossiers qui n'iront jamais devant la Cour suprême parce que les autres juridictions font le tri. Cela crée les conditions favorables pour les juges qui restent. Ils sont désormais mieux payés. Deux cent fois plus. Il y a eu aussi des changements dans les autres juridictions. En créant des compétences spécifiques, en essayant de limiter les dossiers qui entrent dans les juridictions et en faisant l'effort de faire sortir les dossiers qui s'y trouvent. De là, on a commencé à avoir un rythme normal. On a créé ce qu'on appelle les abonzi. Ce sont les comités de médiateurs. C'est même inclus dans la Constitution. Les cas simples d'infraction et de délit, des affaires civiles qui n'excèdent pas un certain montant d'argent sont obligatoirement résolus par les comités des conciliateurs. Donc vous ne pouvez pas aller devant les juridictions sans montrer que votre affaire a été traitée par le comité des médiateurs et que vous n'avez pas été satisfait. Ainsi désormais, plus de 60% des dossiers civils simples sont traités au niveau de la base. Comme ça, on limite le nombre des dossiers qui se trouvent devant les juridictions. Pour donner le temps au juge et aussi combattre la petite corruption qui pourrait avoir cours dans les juridictions s'il y a beaucoup de dossiers devant le juge. La justice est démystifiée. Ce n'est pas une justice des avocats, des juges etc. C'est la justice pour tout le monde. La gouvernance pour tout le monde. Dans un pays, on doit adopter des systèmes qui impliquent la population, où la population a un rôle à jouer. Le TPIR est une juridiction spéciale créée par les Nations unies pour juger les personnes qui se trouvent en dehors du Rwanda et de notre juridiction nationale. Le gacaca est un système traditionnel qui s'occupe des personnes des deuxième et troisième catégories, c'est-à-dire les exécutants des basses besognes. Il ne traite pas les dossiers de première catégorie qui concerne les auteurs, c'est-à-dire les personnes qui ont planifié, commandité le génocide. Ceux-ci sont jugés par les juridictions classiques comme les tribunaux de première instance ou de grande instance. Les relations existent entre les Gacaca, le TPIR et le système judiciaire normal, mais il n'y a pas de collaboration formelle et directe. Ce qui se passe, c'est que le TPIR travaille avec les ministères des Affaires étrangères et de la Justice. Mais chaque information recueillie par les Gacaca est transmise au TPIR par ce canal. Il n'y a plus beaucoup de réfugiés rwandais. Ceux qui ont fui pour le Burundi ont regagné le pays. Il y a certes des politiciens qui ont fui le pays pour se réfugier en Europe et qui continuent de combattre le régime à travers médias et internet, mais ceux qui ont fui le Rwanda pour le Burundi par peur des sanctions des gacaca ont regagné le pays. Ils ont compris que le système fonctionne normalement et n'est pas un bras séculier pour régler des comptes. Il y a eu au départ beaucoup de mensonges et de rumeurs qui ont entraîné l'exode. Mais les efforts engagés par le gouvernement rwandais ont porté leurs fruits. Nous pensons que le standard normal et souhaité est celui qui corrige et trouve des solutions à notre problème. Nous sommes les premiers bénéficiaires du système que nous créons. Si je vais dans un magasin pour acheter un costume, je ne vais pas prendre celui de Tony Blair ou de Bush. J'achèterai le costume qui me convient. Parce que si vous allez pour chercher les costumes des autres, vous allez être perdus. Le standard que nous suivons ici est celui qui doit répondre aux aspirations de nos compatriotes. Si notre population est satisfaite, si elle est contente du système Gacaca, nous ne pouvons qu'applaudir. Et alors, nous allons essayer d'expliquer aux autres que le système résout notre problème. Le système Gacaca a été condamné par des "intellectuels", mais maintenant ils viennent d'Amérique, d'Europe pour constater les miracles que ce système jadis vomi réalise et comment ce système parvient à résoudre les problèmes du génocide. Les normes internationales peuvent commencer ici, en Côte d'Ivoire et pas seulement dans un seul continent ou un seul pays. C'est notre point de vue. Nous faisons des innovations dans notre système judiciaire, polico-économique juste pour permettre à notre pays de faire un pas en avant en sortant des sentiers battus. Les Gacaca ne donnent pas des peines excédant trente ans. Ils n'infligent pas non plus, la prison à perpétuité ou la peine capitale. Leurs peines vont donc d'un jour à trente ans. Dans l'exercice de leurs attributions, le Rwanda a instauré les TIG (travaux d'intérêt général) pour des travaux communautaires. Quand un détenu a purgé la moitié de sa peine, il consacre le reste de la condamnation à se mettre au service de la communauté. L'ancien président a été jugé et condamné à quinze ans de prison pour plusieurs chefs d'accusation au nombre desquels l'atteinte à la sûreté de l'Etat et les détournements de deniers publics. Il a utilisé toutes les voies de recours mises à sa disposition. Pour obtenir une remise de sa peine, il ne lui reste plus que la grâce présidentielle ou celle de Dieu. Un projet de loi se trouve en ce moment sur la table des députés, qui prévoit l'abolition de la peine de mort. Notre pays a connu beaucoup de morts. C'est le moment de donner un signal de réconciliation et de revalorisation de la vie. La constitution de 2003 prévoit la création d'une commission nationale sur le génocide. Le génocide n'est pas une vue de l'esprit. C'est une dure réalité vécue par les Rwandais. Le génocide est toujours un acte planifié et réfléchi. Pour protéger la population contre ses effets et la rassurer que de tels actes n'auront plus lieu dans notre pays, il a été décidé qu'une commission nationale soit établie pour suivre au jour le jour toutes les procédures engagées dans ce cadre. Ce n'est pas une commission d'enquête, mais une commission pour recueillir toutes les informations sur le génocide. Afin d'en comprendre les ressorts et les manifestations dans le but d'éduquer nos compatriotes. La commission chargée d'établir le rôle de la France dans le génocide rwandais, quant à elle, est une commission établie par le gouvernement, pas vraiment pour enquêter, mais pour rassembler les témoignages, les preuves qui existent sur le fait du génocide. Cette commission travaille depuis quatre mois environ sur la collecte des informations. Les travaux se déroulent normalement, mais comme vous le savez, un conflit a éclaté avec nos amis les Français. Quand la commission a commencé les audiences publiques, la France a réagi très rapidement. Elle a commencé la lutte contre la commission en accusant notre pays de vouloir politiser le procès, et elle a lancé des mandats d'arrêt internationaux contre des personnalités de notre Etat. Mais quand vous lisez le dossier du juge français, il est vide. Il a été établi sur la base des témoignages des politiciens qui ont fui le pays, des gens qui, reconnaissant leur participation à la planification du génocide, font partie des premières catégories des génocidaires, y compris l'épouse de l'ancien président (Juvénal Habyarimana) et des détenus d'Arusha qui sont déjà condamnés. C'est sur ces preuves que le juge Bruguière a basé son ordonnance. C'est étonnant mais comme nous avons expliqué, nous étions obligés de rompre les relations diplomatiques avec la France. Et nous allons très prochainement saisir les juridictions internationales compétentes. Si l'information indique clairement le rôle de la France dans le génocide rwandais, nous allons saisir les juridictions internationales compétentes pour juger la France. Nous sommes en train de poser les premiers pas. Le pays ne meurt pas, le Rwanda va nous survivre. Si nous ne menons pas à terme ce combat, nos enfants et petits-enfants vont continuer la lutte pour faire triompher la vérité sur le génocide rwandais. Nous avons fait beaucoup de réformes quelquefois très profondes. Nous avons maintenant des expériences que nous pouvons échanger avec les pays africains. Nous avons maintenant un système judiciaire mixte: on a pu garder les bons côtés du système franco-belge, on a aussi rejeté beaucoup de choses qui étaient inutiles et qui encombraient notre système judiciaire. On a intégré des aspects du système du common law, le droit anglo-saxon, pour enrichir notre ancien système.

Propos recueillis à Kigali par
William Varlet Asia
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