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 Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles

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ibukafrance
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MessageSujet: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:17

Protais Musoni
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI (Jeune Afrique)

Ministre de l’Administration locale

Que son air professoral et son verbe pédagogique ne vous trompent pas. L’homme est plus politique que technocrate. Protais Musoni, ministre de l’Administration locale, de la Bonne Gouvernance, du Développement communautaire et des Affaires sociales (c’est l’intitulé complet de son portefeuille) est un « historique ». Né en 1954, à Muhura, dans la région de Byumba, il vit en exil au Kenya quand il accède, à l’âge de 29 ans, à la présidence régionale du Rwandese Alliance for National Unity (Ranu). Il en devient le secrétaire général en 1985, quelques mois avant que le Ranu ne se transforme en Front patriotique rwandais (FPR), dont il devient vice-secrétaire général avant d’en être le coordinateur. Diplômé en maths, physique et chimie, puis en ingénierie mécanique à l’université Makerere de Kampala, il est nommé préfet à Kibongo, au lendemain de la chute du régime de Juvénal Habyarimana. C’est cette expérience dans l’administration qui le mène vers le projet de décentralisation. « Avant d’effectuer la moindre dépense, je devais me déplacer à Kigali pour obtenir une autorisation. De toutes nos contraintes, il fallait lever celle provoquée par la bureaucratie. » Entre 1996 et 1997, il sillonne le pays pour recenser les besoins en matière de gouvernance des petites gens des collines. Il collecte les souhaits et relève les anachronismes de l’administration en place. Il élabore un projet de décentralisation en trois étapes. La première débute avec les élections locales de 2001 et s’est achevée avec la fin du mandat des élus. La deuxième a commencé avec l’année 2006 par une forte réduction du nombre des structures locales avec des pouvoirs élargis et des prérogatives plus importantes. « En 2015, date du lancement de la troisième étape, nous aurons totalement inversé la pyramide institutionnelle. »

Et comme pour tout ce qu’entreprennent les autorités en matière stratégique, le projet de décentralisation initié par Protais Musoni est soumis à l’évaluation publique, le plus souvent confié à des cabinets d’audit réputés ou à des universités internationales reconnues. Durant ces séances publiques, critiques et observations se succèdent. Enfin, pour effectuer le travail le plus efficace possible, Musoni entend « répartir les ressources humaines disponibles équitablement entre les différentes provinces ». Ainsi, il y aura au moins un ou une universitaire associé à la gestion des 2 147 cellules que compte le Rwanda.

La décentralisation selon Protais Musoni ? « C’est la généralisation de la pratique démocratique quotidienne orientée vers un souci permanent de développement économique et une lutte efficace contre la pauvreté. » Mais le ministre ne semble pas vouloir en rester là. « Dans moins d’une décennie, les provinces seront à leur tour dissoutes. Les districts et leur gouvernement pourront se passer d’une structure intermédiaire entre elles et le gouvernement central. »
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:18

Le pouvoir au peuple
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI, ENVOYÉ SPÉCIAL À KIGALI

En optant pour la décentralisation, les autorités veulent associer l’ensemble des citoyens à la gestion des affaires publiques. Une manière de favoriser la réconciliation nationale et de conforter la paix.

Le génocide de 1994, qui a coûté la vie à près de 1 million de Rwandais, a endommagé durablement la cohésion sociale, privant le pays d’une grande partie de son élite, de ses infrastructures de base et de ses acquis économiques. Douze ans après, les autorités de Kigali continuent donc d’appliquer la thérapie adoptée à la fin des années 1990, à l’issue d’un grand débat national organisé à travers les villages et les villes. Le produit de ces échanges a été analysé et évalué au niveau gouvernemental, en 1999, à Rugwiro, siège de la présidence de la République. L’après-génocide imposait de conforter en priorité l’unité du pays et la réconciliation entre les composantes de ce peuple déchiré. Toutefois, cette opération de consolidation de la paix aurait été vaine dans un pays comptant plus de 60 % d’habitants vivant avec moins de 1 dollar par jour, sans une lutte efficace contre la pauvreté. Deux autres écueils devaient être pris en considération. Le premier tient à la crédibilité des institutions publiques, le génocide ayant été planifié par le gouvernement de l’époque, son administration, son armée et sa police. Compte tenu de cet héritage, comment restaurer la confiance du citoyen envers ses institutions ? Le deuxième handicap était d’ordre géographique. Au Rwanda, on retrouve une densité de population parmi les plus fortes de la planète. À Kigali, par exemple, ce chiffre est de l’ordre de 1 230 habitants au kilomètre carré. La répartition de la population sur le territoire, une suite incessante de collines ponctuées de rares plaines et de vallées, rend complexe toute opération de développement durable. Elle entrave la distribution d’eau potable, l’accès aux services de santé et à l’éducation. Tenant compte de ces difficultés, la stratégie arrêtée à Rugwiro a pris les allures d’un triptyque : un projet de développement dénommé Vision 2020, une feuille de route pour la réduction de la pauvreté et enfin un projet de décentralisation. Le processus de décentralisation en cours fait partie des réformes qui sont liées à la consolidation de l’unité et à la réconciliation nationale.
Par définition, une décentralisation impose une reconfiguration de l’administration, un bouleversement dans la fonction publique (voir entretien avec Hadj Habib Bumaya pp. 60-61) et une large délégation des pouvoirs du gouvernement central aux exécutifs locaux. Le programme de mise en œuvre conçu par Protais Musoni, ministre de l’Administration locale, va plus loin. Il s’agit d’un véritable transfert de prérogatives. Désormais, l’amélioration des conditions de vie de la population, le développement économique local et son financement par une fiscalité appropriée et le contact direct avec les bailleurs de fonds sont du ressort de parlements locaux, au niveau des secteurs, exécuté par une équipe de technocrates recrutés directement par les autorités élues du district, le tout étant coordonné par le gouverneur de la province, qui veille à l’harmonisation avec les programmes du gouvernement central, celui-ci gardant les fonctions régaliennes de l’État (politique étrangère et défense nationale).

Le nouveau découpage territorial est entré en vigueur le 1er janvier 2006. Le Rwanda est désormais subdivisé en cinq provinces (Est, Ouest, Nord, Sud, et la ville de Kigali au centre). Concernant le choix des chefs-lieux de province, hormis Kigali, aucune « capitale provinciale » ne compte plus de 200 000 habitants. Ainsi, Nyanza, ancienne capitale royale du Rwanda, devient celle de la province méridionale ; Rwamagana, ancien comptoir commercial créé par des marchands arabes, devient celle de la province Est ; Byumba supplante sa grande voisine, Ruhengeri, pour le Nord ; et Kibuye, sur les bords du lac Kivu, pour l’Ouest, ferme la liste. Même si elles présentent de nombreuses similitudes en matière de vocation agricole avec un relief relativement comparable, chacune des provinces affiche sa spécificité, son histoire, ses atouts et ses potentialités. L’Est, avec ses larges plateaux, s’oriente vers l’élevage sans se détourner des activités touristiques que peuvent générer le Parc national de l’Akagera et les plages du lac Muhazi. À l’Ouest, on mise sur le commerce, notamment avec la rive congolaise du lac Kivu, et l’industrie, avec l’agroalimentaire et la production de ciment. Le Sud demeure, avec l’Université nationale de Butare et les divers pôles d’enseignement technique de Gitarama, un centre de rayonnement scientifique, sans pour autant se détourner de ses plantations de thé. Quant au Nord, caractérisé par ses massifs montagneux et ses terres rendues fertiles par l’activité volcanique, il continue d’être le grenier du Rwanda et de recevoir annuellement des milliers de touristes venus de monde entier à la rencontre des gorilles à dos argenté, derniers représentants d’une espèce menacée d’extinction.

L’objectif de la décentralisation est d’associer la population à la gestion des affaires publiques et de rendre plus efficace l’accès aux services collectifs pour les citoyens. Pour ce faire, les provinces se subdivisent en districts. Le Rwanda en compte 30 regroupant 416 secteurs pour un total de 2 147 cellules, structures de base de l’administration locale. Celles-ci ont élu, le 6 février, un conseil exécutif de 10 personnes, dont un coordonnateur et ses deux adjoints. Ces trois derniers deviennent membres du Conseil, sorte de parlement local existant au niveau de chaque secteur (voir encadré page précédente). Le 13 février, l’exécutif des secteurs a été élu au suffrage universel. Outre l’exigence pour les candidats de justifier d’un niveau universitaire, ils sont tenus de se présenter à titre individuel et non investis par une formation politique. L’ensemble de la classe politique est unanime sur cette question : pas d’implication des partis dans la compétition électorale. « Les plaies du génocide ne se sont pas tout à fait cicatrisées, précise Protais Musoni. Et nous avons tenu à ce que le débat soit axé sur les compétences et le savoir-faire du candidat plutôt que sur son programme politique. Les valeurs démocratiques sont largement respectées par cette forme de scrutin dont la finalité est d’asseoir durablement la participation du citoyen à la gestion de la cité ou de l’espace commun. » Maintenant, il s’agit d’obtenir de l’élite intellectuelle qu’elle quitte Kigali et les autres centres urbains pour encadrer ces élus aux prérogatives élargies. C’est là qu’interviennent la réforme de la fonction publique et la revalorisation. Avec la bénédiction des institutions de Bretton Woods. Les salaires ont triplé au 1er janvier 2006. Une manière d’encourager les meilleurs cadres à faire carrière au service des collectivités locales.

« La décentralisation devrait contribuer à l’émergence de 30 nouvelles villes et 416 centres de négoce, assure Nepo Rugemintwaza, directeur en charge de la décentralisation au ministère de l’Administration locale, fidèle second de Protais Musoni depuis la date de lancement du projet, en 1999. Car le développement local ne pourra se faire sans l’urbanisation des populations rurales. La promotion de l’habitat regroupé a pour objectif d’assurer une meilleure prestation de services des autorités locales, de provoquer l’apparition de nouveaux centres urbains et de contribuer au développement de ceux existants. L’élite qui aura choisi de s’installer dans les districts et les secteurs voudra se doter des commodités dont elle disposait à Kigali. Elle s’inquiétera des conditions de scolarité de ses enfants ou de la proximité d’un hôpital ou d’un centre de soins. C’est une motivation supplémentaire et une garantie d’efficacité en matière de développement, et cela au plus grand profit de l’ensemble de la population. » À terme, la répartition de la population devra être bouleversée avec une rationalisation de l’occupation de l’espace.

À l’issue des élections locales, en février, la mise en place des institutions a été entamée. Les gouverneurs sont déjà en place, des projets de développement plein la tête avec un esprit de compétition. Théoneste Mutsindashyaka, ancien maire de Kigali, aujourd’hui gouverneur de la plus importante province en superficie, celle de l’Est, s’est installé à Rwamagana dans l’objectif d’en faire, d’ici à quelques années, la deuxième ville du pays : en clair, faire passer le nombre des habitants de Rwamagana de 120 000 à 600 000 habitants. Enthousiasme débordant ? « C’est mon ambition », rétorque-t-il. Son rêve ? Voir le plus rapidement sur le marché international des produits labellisés Rwanda Eastern. On retrouve la même ferveur dans les autres provinces. Chacun a la volonté de trouver rapidement le plus court chemin vers le développement. Le tout en consolidant la réconciliation nationale.

Au Rwanda, l’État porte une grande responsabilité vis-à-vis du génocide. « En multipliant les cadres d’échange et de participation à la gestion publique, c’est la paix que l’on conforte », affirme Nepo Rugemintwaza. Quant au développement, on peut faire confiance aux Rwandais, qui cultivent inlassablement la moindre parcelle de terre arable. Fût-elle en pente, à 45 degrés, comme c’est souvent le cas.
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:19

Ce passé qui passe mal
RWANDA - 5 mars 2006 - par PAR JEAN-PIERRE CHRÉTIEN*
Les milieux dirigeants rwandais sont confrontés à des contentieux hérités des différentes époques du passé et dont la virulence a été portée à l’extrême par le génocide de 1994. Le Rwanda ne date pas d’hier, contrairement à nombre d’États africains. Une nation s’était cristallisée depuis le XVIIe siècle autour d’un pouvoir centralisé. Mais l’image parfois idéalisée de l’ancien royaume couvre nombre de contradictions : entre le centre monarchique et les périphéries annexées souvent au XIXe siècle, entre la légitimité quasi religieuse du roi et la pression militaire et fiscale de l’aristocratie, entre la cohabitation des clans et la hiérarchie héréditaire opposant de plus en plus les catégories tutsie et hutue. L’imaginaire social rwandais s’est bâti durablement autour de ce clivage, perçu aujourd’hui comme « ethnique » et donc naturel.

L’emprise coloniale s’est moulée dans ce système de façon équivoque. Prétendant apporter la modernité en respectant la tradition, elle a brouillé les deux. L’école, la monnaie, la conversion au christianisme devaient promouvoir l’individu, mais le travail conçu sur un mode disciplinaire et surtout le remodelage politico-social selon une logique d’inégalité « raciale » au profit des Tutsis ont transformé ce pays en un grand pensionnat catholique et en un laboratoire d’administration dite indirecte, marquée par un racialisme lancinant jusqu’aux années 1950. Cette obsession a piégé le pays, capturant le passé et l’avenir, dans le vécu des Africains comme dans le regard des Européens.

Le tournant de l’indépendance a donc coïncidé avec une « révolution sociale » ambiguë : le renversement de la monarchie tutsie au profit d’une république hutue, pénétrée d’une culture politique héritée du colonisateur belge. La conscience raciale s’est reproduite sous un jour populiste sous Kayibanda, la dictature a pu s’imposer sous le nom de « démocratie » sous Habyarimana, le bouc émissaire tutsi est réapparu à chaque difficulté du régime, en 1963, en 1973 et de nouveau à partir de 1990. La République, piégée par ce modèle, a représenté un nouveau leurre de la modernité dans ce pays.

Les deux dernières décennies ont été encore marquées par des occasions manquées. On assista à la fin des années 1980 à la rupture d’une nouvelle génération de la diaspora tutsie avec les nostalgies monarchistes et à l’émergence chez les élites hutues d’un courant démocratique débarrassé de l’ethnisme. Mais l’espoir né de ces ouvertures a été finalement brisé par le réveil systématique de l’antagonisme « ethnique » du passé par des extrémistes. L’entretien méthodique d’une culture de la haine raciale a débouché sur le « génocide populaire » de 1994.

La déchirure créée par ce dernier semble irrémédiable : mémoire des rescapés et contentieux des représailles ultérieures, exercice incontournable de la justice face à des crimes imprescriptibles, crispation sécuritaire du nouveau régime face à une propagande ethniciste récurrente. La sortie de cette impasse est un véritable défi. Elle ne réside sûrement pas dans un négationnisme absurde, plus facile à bricoler à l’étranger qu’à assumer dans le pays ! Au souci légitime de sécurité des Tutsis, menacés ouvertement d’éradication depuis plus de quarante ans, s’oppose l’aspiration normale des Hutus d’occuper toute leur place dans la société rwandaise, sans avoir besoin de revenir au slogan du « peuple majoritaire ».


Le dépassement de l’étiquetage ethnique est un véritable idéal, dans ce pays comme chez son voisin burundais, mais est-il politiquement gérable sans un examen lucide des fossés hérités de l’Histoire et sans des garde-fous au moins transitoires trop souvent confondus avec un système de « quotas » ? La question est aussi posée au Burundi, et il n’y a pas de réponse simple. Au lieu d’instrumentaliser le passé, lu avec des œillères d’un autre temps, il serait temps de développer des débats sérieux comme celui des historiens allemands et français après la Seconde Guerre mondiale.
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:19

Théoneste Mutsindashyaka, un gouverneur aux champs
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI

Élu maire de Kigali en 2001, l’ancien édile est désormais à la tête d’une province agricole. Itinéraire d’un dirigeant plein ambitions.

Il est l’homme qui a modernisé Kigali. Telle est la réputation de Théoneste Mutsindashyaka, gouverneur de la province orientale depuis le 1er janvier 2006. Ce diplômé en mathématiques est entré dans la fonction publique presque par effraction. Né en 1963 à Kigali, il y effectue sa scolarité avant de poursuivre son cursus universitaire à Butare. En 1990, accusé à tort d’être membre du FPR, il est arrêté et condamné à six mois de prison. Une fois sa peine terminée, il rejoint le FPR et se bat dans les maquis situés entre le Rwanda et l’Ouganda. C’est après la chute du régime d’Habyarimana qu’il intègre l’administration. Le génocide a décimé l’élite. Tous les cadres valides sont alors sollicités pour « faire tourner » la machine administrative. Il est bombardé chef de cabinet au ministère de la Jeunesse, où il passe trois ans avant d’occuper le même poste au ministère de l’Intérieur. C’est là qu’il s’intéresse à la décentralisation. Il participe aux premières réflexions, puis se lance en 2001 dans les élections locales à Kigali. Il est élu maire de la capitale.

Théoneste a plein d’idées et sait tirer profit de son carnet d’adresses, dans lequel figurent notamment le compositeur Quincy Jones ou la comédienne Sharon Stone. Féru de nouvelles technologies, il mise sur le secteur des services. Avec bonheur. Sa ville dispose aujourd’hui de l’institut dédié aux nouvelles technologies de l’information le plus réputé de la sous-région. Totale reconfiguration de la capitale, amélioration du transport collectif malgré un relief difficile, et multiples projets immobiliers donnant des allures de modernité à Kigali, le tout en épargnant le plus possible les deniers de l’État avec un recours aux financements privés. Tel est le bilan de Théoneste et de sa gestion des affaires municipales. Ses projets pour la province orientale ? « Tout d’abord identifier le meilleur chemin vers le développement. Pour cela, j’ai invité un spécialiste de l’agroalimentaire, principal atout de la province. » Les mathématiques ne lui manquent pas trop. « La rationalité doit être permanente dans l’esprit d’un gouverneur qui veut que sa province soit la plus performante. » Et à en croire Théoneste, ses ambitions n’ont rien d’irrationnel.
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:20

Province capitale
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI

L’histoire et la géographie de Kigali lui confèrent une position unique dans le projet de décentralisation.

Fondé en 1907 par le colonisateur allemand, Kigali s’étalait sur huit hectares et comptait moins de 400 habitants. À l’indépendance du pays, en 1962, la capitale comptait 60 000 habitants. Quarante ans plus tard, on a recensé dix fois plus de Kigalois, nom donné aux habitants de la capitale. En 2006, sa superficie avoisine les 320 kilomètres carrés pour une population frisant le million d’habitants. Elle est située dans la région de Bwanacyambwe, marquée par une succession de collines qu’entourent le mont Kigali, qui a donné son nom à la ville, et le mont Jali. L’agglomération a donc été construite sur des plateaux avec des flancs en forte pente, rendant le site difficile à aménager, notamment pour le doter d’un habitat et d’une voirie modernes.
À l’origine, la ville reposait sur deux collines, Nyamirambo et Nyarugenge, les autres étant réservées à la production agricole ou transformées en « collines dortoirs ». La cité a fini, en 1973, par les absorber toutes et aucun Kigalois ne serait en mesure de donner aujourd’hui le nombre exact de collines qui forment la ville. Kigali a connu, ces cinq dernières années, un développement sans précédent. Capitale administrative, carrefour commercial et centre industriel, la ville dispose désormais de tous les arguments en matière de modernité. En premier lieu, les infrastructures. Les axes routiers reliant les différents quartiers sont tous bitumés. Le réseau de voirie s’est fait plus dense. Le nombre de cliniques spécialisées privées est en constante augmentation. L’immobilier a connu une véritable explosion avec la réalisation de nombreux quartiers résidentiels nouveaux, notamment à Nyarugenge et à Remera, et d’autres encore en chantier. Les constructions à étages ont fait leur apparition grâce à une meilleure gestion du cadastre et à la généralisation du financement immobilier par des crédits bancaires. Clin d’œil : le nouveau siège du ministère de la Défense est en forme de… pentagone. Illuminé avec intelligence, il brille la nuit tombée sur les flancs de Kacyiru.

Kigali se veut accueillant. Ses capacités hôtelières connaissent également un développement spectaculaire, élargissant le choix en termes de confort et de budget. Quant aux espaces de convivialité, ils ne cessent de se multiplier. Le restaurant Chez Robert, à la mode ces dernières années, découvre les affres de la concurrence. Son rival, le VIP, s’est transformé, avec bonheur semble-t-il, en bar thaï, et propose désormais une cuisine dont les ingrédients traversent l’océan Indien pour tenter de séduire les papilles kigaloises. Chez John propose une cuisine ouest-africaine et la Republica, l’établissement le plus récent, voit sa notoriété s’accroître. De nouvelles installations sportives, des courts de tennis à profusion et un terrain de golf situé à Nyarugenge font le bonheur des amateurs.

Le réseau de distribution commerciale s’est enrichi avec un grand nombre de nouveaux centres ultramodernes, répartis sur la quasi-totalité des collines. Le tissu industriel de Kigali n’a pas connu la même croissance que la ville. Il demeure toutefois l’un de ses deux poumons économiques. Du textile au tabac en passant par l’agroalimentaire avec les brasseries et les sucreries, l’industrie est le deuxième secteur en termes d’emplois après celui des services. C’est ce dernier qui fait la fierté des Kigalois : « Dans quelques années, notre cité va proposer les meilleurs services aux hommes d’affaires et investisseurs de toute la sous-région », affirme Dawla, étudiante à l’Institut des sciences et technologies de Kigali (Kist). Le projet de création d’une Bourse des valeurs régionale est en voie de concrétisation. Le rêve de transformer Kigali en pôle d’affaires, doté de toutes les commodités, ne s’arrête pas là. Outre l’aéroport international de Kanombe, situé à 10 kilomètres du centre-ville, les autorités rwandaises envisagent la construction d’une nouvelle aérogare avec pour ambition de faire de Kigali un hub international, plate-forme aérienne à cheval entre l’Afrique orientale et les pays du centre du continent.

Cependant, le rythme accéléré de transformation de la capitale a entraîné certaines omissions, notamment pour ce qui touche aux espaces socioculturels. Aucune salle de théâtre ou de concert n’a été réalisée. Les salles de cinéma se comptent sur les doigts d’une seule main. Si l’on veut écouter de la musique live, il faut attendre le vendredi pour voir la prestation des Muchachos, un orchestre jouant de la salsa ou du reggae, en début de soirée au VIP, à quelques mètres du Cadillac, le night-club branché de Kigali. Autre espace ouvert à la musique : le centre culturel franco-rwandais. Là aussi, les animations se concentrent sur la fin de la semaine. Hormis ces deux « scènes », les jeunes Kigalois sont démunis et doivent s’en remettre à la programmation de mégaconcerts au stade d’Amahoro, à Remera, ou celui de Nyamirambo. Mais ce genre de manifestation demeure plutôt rare. Sonoriser et illuminer des événements de cette taille nécessite de gros moyens. Pour l’heure, seule Cobra Production dispose d’un tel matériel. Son propriétaire, Eugène, affirme que ce type d’activité est peu rentable au Rwanda : « Il est difficile d’amortir le cachet d’une star internationale capable de remplir un stade, de régler les factures d’énergie et le personnel avec la seule billetterie. Le mécénat par les grandes entreprises publiques ou privées reste encore embryonnaire, mentalités obligent. » Le grand espoir d’une relance de l’activité culturelle repose sur le Festival panafricain de la danse (Fespad, voir ci-dessous). Toutefois, la fréquence du Fespad, manifestation biennale, rafraîchit l’enthousiasme.

L’impact de la décentralisation sur la ville de Kigali ? « Il ne peut être que bénéfique, assure Martin, un grand commerçant. L’autonomie budgétaire donne à une province de nouvelles chances en matière de gestion du produit de la fiscalité directe. Le tissu économique de Kigali lui permettra de dégager des revenus conséquents, capables de poursuivre la politique de modernisation de la ville. »
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:21

La démocratie en altitude
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI
Le 20 février 2006 a pris fin un long processus électoral pour désigner les hommes et les femmes devant mettre en pratique la nouvelle étape de la décentralisation. Celui-ci avait débuté le 6 février au niveau des 2 147 cellules, unités territoriales de base, que compte le Rwanda. Pierre Damien Habumuemyi, secrétaire exécutif de la Commission nationale électorale, décrit le déroulement de la consultation :
« Les candidatures sont individuelles et non partisanes. Elles visent à pourvoir les huit postes de membres de l’exécutif. Une fois les candidats déclarés, chacun dispose d’un temps de parole de quinze minutes, avec interdiction de recourir à des arguments d’ordre ethnique ou religieux. À l’issue de cette campagne, les candidats se mettent debout, tournant le dos à l’Assemblée. Les électeurs accordent leur voix en se plaçant derrière le candidat de leur choix. La file la plus longue désigne le coordinateur de cellule et les deux suivantes, ses deux assesseurs, qui siégeront au parlement du secteur, c’est-à-dire à l’échelon supérieur. Quant aux cinq files suivantes, elles désigneront les membres du Conseil. Ce dernier recrute un secrétaire exécutif disposant d’un niveau d’études minimal de bac + 2. Cette opération est dirigée par trois agents électoraux. »

Quant aux secteurs et districts, ils ont élu leurs conseillers respectivement le 13 et le 20 février. Pour chaque type de représentation, un niveau scolaire est requis : cycle secondaire achevé pour la cellule, bac + 2 pour le secteur et bac + 4 pour le district. Chaque secteur aura son parlement et chaque district son gouvernement. Ces instances élues seront assistées par des équipes de technocrates qu’elles auront elles-mêmes sélectionnés et recrutés. Autres précisions : premièrement, la loi impose une participation féminine minimale de 30 % au sein des parlements et gouvernements locaux ; deuxièmement, les nouvelles institutions verront participer, aux côtés des élus, des représentants de la jeunesse, des différentes catégories socioprofessionnelles et du mouvement associatif.
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:21

El Hadj Habib Bumaya
RWANDA - 5 mars 2006 - par PROPOS RECUEILLIS À KIGALI PAR CHERIF OUAZANI

Le ministre de la Fonction publique évoque les conséquences de la décentralisation sur l’administration territoriale

Pour avoir fondé le Parti démocratique islamique (PDI), il incarne depuis la fin des années 1980 la minorité musulmane du Rwanda. El Hadj Habib Bumaya, 50 ans, titulaire du maroquin de la Fonction publique, a participé à la reconfiguration de l’administration, étape incontournable vers la décentralisation.

Jeune Afrique : Le choix de la décentralisation implique de nombreuses conséquences sur la fonction publique. Où en est-on aujourd’hui ?

El Hadj Habib Bumaya : Le processus de réformes a débuté en 1999, quand la décentralisation a été retenue comme stratégie de bonne gouvernance. Trois ans plus tard, nous avons achevé la première phase qui a consisté à l’élaboration de nouveaux organigrammes pour l’administration centrale et les institutions nationales, tels le Parlement, la Cour suprême ou le parquet général. En 2003, nous avons entamé l’harmonisation entre l’organisation de la fonction publique et la politique de décentralisation. L’évaluation périodique nous a amenés à revoir les effectifs et leur répartition sur les provinces, les districts et les secteurs.

Est-ce à dire que la fonction publique a subi une sérieuse compression d’effectifs ?

Le principe de la décentralisation implique une nette diminution des prérogatives de l’administration. Celle-ci se concentre désormais sur la conception des politiques, la coordination de leur mise en œuvre et l’élaboration des projets de lois. À titre d’exemple, le ministère de la fonction publique disposait d’un effectif de 110 agents avant la réforme. Nous ne sommes plus que 35 aujourd’hui. La nouvelle répartition des tâches imposait un dégraissage et une mise à disposition de cadres pour les districts et pour les secteurs aux pouvoirs élargis. Au 31 décembre 2004, près de 40 % des agents de l’État ont été mis à la retraite pour certains, licenciés avec indemnités pour les autres. Cette opération a coûté au budget de l’État plus de 600 millions de francs rwandais, un peu plus de 1 million de dollars.

Cette opération a-t-elle provoqué des remous sur le plan social ?

Il n’y a pas eu d’embrasement sur le front social pour la simple raison que les licenciements ont été accompagnés par des mesures efficaces. Tous les agents qui en ont exprimé le désir peuvent bénéficier d’un recyclage universitaire, pour peu qu’ils puissent justifier d’un diplôme leur permettant de reprendre leur cursus. Cette éventualité leur ouvre la possibilité de se faire recruter par les nouvelles autorités locales qui auront besoin de cadres. D’autres agents ont souhaité créer des entreprises. L’État a mis à leur disposition des bourses d’études en gestion et en management. En outre, la Banque centrale a créé un fonds de garantie pour qu’ils puissent accéder au financement de leur projet via les banques commerciales.

Quelle a été la catégorie de fonctionnaires la plus touchée ?

Celle des agents non qualifiés ou au cursus universitaire inachevé. L’administration centrale gardant les cadres capables de concevoir des politiques et élaborer une planification, tous les autres devaient être recyclés et mis à la disposition des entités de proximité qui ont désormais la charge de servir le citoyen.

Vous avez l’ambition d’intéresser l’élite à la gestion locale. Que lui proposez-vous pour la convaincre de quitter Kigali ou les grands centres urbains ?

Une sérieuse revalorisation salariale. Pour ce faire, la loi de finances de 2006 prévoit un accroissement de la masse salariale de 7 milliards de francs rwandais (environ 12 millions de dollars). La révision du barème devrait inciter les futurs lauréats des universités rwandaises à opter pour la fonction publique au niveau des gouvernements et parlements locaux.

En augmentant les salaires, ne redoutez-vous pas la colère des institutions financières internationales ?

Pas du tout ! Nous ne faisons rien en catimini et tout cela a été négocié avant adoption par le Conseil des ministres. Cela dit, l’augmentation des salaires n’obéit pas à des critères rigides. Certains secteurs de la fonction publique restent libres d’appliquer ces nouvelles orientations. L’éducation, l’armée ou la police ont bénéficié d’une sorte de dispense du barème national pour que la redistribution des augmentations n’engendre pas de frustrations. La revalorisation touchera essentiellement l’encadrement, en dehors des cadres supérieurs. Certains de mes collaborateurs ont vu leur salaire tripler depuis le 1er janvier 2006. En revanche, certaines aberrations contenues dans l’ancien barème ont été corrigées. Ainsi les salaires de cadres des entreprises parapubliques ont été gelés, voire réduits dans certains cas. On ne pouvait continuer d’accorder à un directeur d’une entreprise publique un salaire trois fois supérieur à celui de son ministre de tutelle.

Quelle est la taille de la nouvelle fonction publique ?

Environ de 90 000 personnes, réparties essentiellement dans l’armée et l’éducation (30 000 agents chacune). Les effectifs de la police ont été maintenus à 8 000 hommes. À l’issue de cette réforme, les effectifs et les salaires de la fonction publique ne seront plus de notre ressort mais de celui des autorités locales, désormais autonomes en matière budgétaire. Libre à elles de recruter ou de se séparer de leurs agents. Pour les recrutements, nous avons mis en place une commission de la fonction publique qui assistera les districts et secteurs en quête de cadres.

Faute d’activités, vous allez finir par vous ennuyer dans votre bureau !

Le ministère poursuivra sa mission de supervision pour proposer des ajustements. Je ne vais pas m’ennuyer, car la décentralisation n’exclut pas pour autant le débat politique.

À propos de politique, les élections locales se sont tenues sans aucune référence partisane. Comment réagit le chef de parti que vous êtes ?

Il s’agit d’un compromis entre l’ensemble de la classe politique rwandaise. Notre histoire et le douloureux épisode du génocide rendent difficile aujourd’hui une compétition électorale engageant des partis à un niveau local. Le manque de conscience politique et la fragilité de la paix dans les collines pourraient compromettre le processus d’unité et de réconciliation. La population n’est toujours pas à l’abri d’un discours divisionniste. Les huit formations qui composent le paysage politique au Rwanda sont organisées au sein d’un forum. Chacune y est représentée par quatre membres et les décisions prises sont obligatoirement consensuelles. Il n’y a aucune hégémonie, et chaque parti pèse autant que les autres. Les décisions qui engagent le devenir du pays y sont discutées en toute sérénité. Tous les partis ont admis l’idée d’élections locales non partisanes pour favoriser l’émergence de compétences au service de la population. Une fois que le forum a retenu l’idée d’élections non partisanes, cela a été entériné par le gouvernement et adopté par le parlement. Cela est parfaitement compatible avec nos réalités. Mais il arrive que le chemin qui mène au consensus soit parsemé d’embûches.

Sur quelle question, par exemple ?

Il y a une interprétation et une lecture différentes à propos de l’obligation faite à l’État de financer les formations politiques. Quand le débat se trouve dans une impasse, il y a une période de concertation entre les 32 membres du forum. Si les divergences demeurent, la question est renvoyée à plus tard.
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MessageSujet: Re: Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles   Le Rwanda et la décentralisation: série d'articles Icon_minitimeMer 8 Mar - 16:22

Voyage au cœur des Mille Collines
RWANDA - 5 mars 2006 - par CHERIF OUAZANI

Les provinces rurales présentent de fortes similitudes.

Après le génocide de 1994 et la chute du régime de Juvénal Habyarimana, une stratégie de sortie de crise a été adoptée par les nouvelles autorités où se mêlaient quête de stabilité politique, relance de l’appareil économique et consolidation de la paix dans les collines. Grâce à une période de transition, les institutions ont été mises en place : adoption d’une Constitution, organisation des élections locales, législatives et présidentielle, nomination d’un auditeur de la République aux prérogatives élargies en matière de contrôle de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. En matière de développement économique, un débat national a été lancé, dont la synthèse a été confiée à une équipe de technocrates. Ce travail, sanctionné par le document Vision 2020, esquisse la stratégie à suivre pour tripler, en moins de deux décennies, le revenu par habitant en le portant à 900 dollars en 2015, contre 290 en 1999. Cependant, le génocide a laissé de profondes cicatrices parmi la population. Les massacres se sont produits dans les quartiers et dans les collines, le plus souvent entre voisins ou entre collègues de travail. Le retour de la confiance entre gouvernants et gouvernés ne peut donc suffire. Car il s’agit surtout de faire en sorte que les Rwandais réapprennent à se parler. Depuis la fin du génocide, la population a peu à peu repris la parole. Débats sur le projet de Constitution, instauration des juridictions populaires, les gacaca… Avec la décentralisation, l’idée est d’associer la population à la gestion de la chose publique. En inversant la pyramide décisionnelle, la population en âge de voter d’une cellule devient un parlement dont les sessions se tiennent dès que la nécessité l’impose. De quoi multiplier les moments d’échanges entre les habitants tout en garantissant leur participation à la gestion de leurs affaires.
À partir du 1er janvier 2006, le Rwanda nouveau se décline donc en quatre provinces entourant la capitale. La ville de Kigali intra muros a vu se greffer une partie de Gasabo et se décompose désormais en trois districts. Pour éviter toute sémantique ambiguë, le choix des noms des nouvelles entités administratives s’est inspiré exclusivement des points cardinaux. Quant à celui des chefs-lieux, le critère géographique a également été retenu : au centre de la province, même s’il ne s’agit que d’un gros bourg. Le Rwanda est un petit pays de 26 338 kilomètres carrés. Ses quatre provinces présentent de grandes similitudes en termes de potentialités et de géographie. Cela ne les empêche pas d’aspirer à une complémentarité économique. Chacune devra entretenir une spécificité qui la rendra utile aux autres. Chaque gouverneur, nommé par décret présidentiel, nourrit des ambitions pour sa province, ce qui devrait entretenir une saine émulation, bénéfique à l’économie nationale.


Il était une fois dans l'Ouest

Aucune région du Rwanda n’a été épargnée par le génocide de 1994. Toutefois, l’ouest du pays détient la palme, puisqu’il a également souffert de l’insécurité résiduelle consécutive au drame, qui a persisté bien après 1995. En effet, cette région est limitrophe de la République démocratique du Congo, où se sont réfugiés des génocidaires après leur déroute face aux troupes du Front patriotique rwandais (FPR). C’est pourquoi Moussa Fazil Harerimana a une priorité : consolider l’unité et la réconciliation. Pour avoir été préfet de Cyangugu durant près de deux ans, Moussa Fazil connaît bien les problèmes de la province dont il est le gouverneur depuis le 6 janvier 2006. Délimitée au nord par les monts des Virunga, un massif volcanique abritant les gorilles à dos argenté, au sud par le Burundi, ses frontières orientales sont dessinées par les contours du Parc national de Nyungwe, une superbe forêt dotée d’une faune et d’une flore uniques au monde, qui abrite les sources du Nil. La province de l’Ouest est subdivisée en trois districts dont le nom des chefs-lieux évoque de magnifiques paysages : Gisenyi, Cyangugu et Kibuye. Ce dernier situé entre les deux autres a été retenu comme chef-lieu de province. Ces trois villes se situent aux bords du lac Kivu, ce qui leur confère de fortes potentialités touristiques. D’ailleurs, Gisenyi est la ville la mieux dotée en capacités hôtelières, faisant pâlir de jalousie sa voisine congolaise, Goma.

Outre sa vocation agricole, la province occidentale (2,04 millions d’habitants) se distingue des autres par un tissu industriel certes embryonnaire, mais qui fait défaut ailleurs. Outre leur apport en termes d’emplois, la brasserie de Gisenyi et la cimenterie de Cyangugu sont de gros contribuables, ce qui fait de ces entreprises une source non négligeable pour le financement des projets de développement. Cependant, la spécificité de la province tient aux échanges commerciaux avec la RDC, le transport lacustre et la pêche. Rien ne vaut un plat d’isambaza, des éperlans frits, que propose le restaurant d’Eden Roc, le plus grand hôtel de Kibuye. Le lac Kivu fait partie de l’actualité morbide de la planète depuis quatre décennies. Mais très peu de gens savent que ses plages au sable blond, ses îles et ses massifs en forme de pain de sucre constituent une invitation au séjour. D’ailleurs, de nombreux touristes venus à la rencontre des gorilles de Virunga préfèrent résider à Gisenyi plutôt qu’à Ruhengeri, pourtant plus proche du site occupé par les primates.

« Nous avons la chance de ne pas partir de zéro en termes de développement, explique Moussa Fazil. Outre le tourisme, nous envisageons de consolider le potentiel agro-industriel, avec pour objectif de donner une valeur ajoutée à notre production agricole, notamment le café jusque-là exporté à l’état brut. » L’objectif est d’installer dans les prochaines années plus de quatre cents stations de lavage de cerises de café pour améliorer la qualité de l’arabica, spécialité de la province de l’Ouest. Tourisme et agroalimentaire seront les deux piliers de ce far west qui aspire aujourd’hui à la sérénité.


« Le soleil se lève toujours à l’Est »

Depuis l’annonce du choix de leur ville comme chef-lieu de la province de l’Est, les habitants de Rwamagana ne cachent pas leur fierté. « Kigali n’existait pas encore quand notre cité disposait d’un réseau de voirie moderne », affirme Bosco, Rwamaganais de souche. Mais cet universitaire accompli est obligé de se rendre tous les matins à Kigali, distant de 50 kilomètres, pour travailler. Rwamagana ne peut proposer à tous ses fils du travail. Ancien comptoir commercial créé par des marchands arabes au XVIIIe siècle, la ville a perdu de son lustre d’antan, reléguée au rang de gros bourg, dans la périphérie d’une capitale en croissance continue. Ce n’est donc que justice si elle hérite du statut de chef-lieu de la province la plus importante en termes de superficie, englobant le Parc de l’Akagera, le « plat pays » du Rwanda. Sa population dépasse le million et demi de personnes réparties sur quatre districts. Passage obligé des échanges avec la Tanzanie, notamment avec le port de Dar es-Salaam, et l’Ouganda, cette province dispose de nombreux atouts.

Ses zones humides et ses 50 000 hectares de terres irriguées lui permettent d’occuper le premier rang en terme de production de riz, produit de consommation courante au Rwanda. Les grandes étendues de savane favorisent l’élevage bovin (400 000 têtes de bétail, 30 000 litres de lait quotidien) et caprin (la viande de chèvre est particulièrement appréciée). « Nous sommes encore très loin de ce que nos potentialités nous permettent d’espérer, affirme Théoneste Mutsindashyaka, gouverneur de la province orientale (voir p. 75). L’exploitation est encore au stade artisanal, un prolongement industriel s’impose. » Séparer les vaches laitières du reste de l’élevage, construire un grand abattoir moderne pour envisager de satisfaire le marché local et exporter vers les pays de la sous-région, améliorer la collecte de lait et réaliser des centrales capables de traiter la production afin d’augmenter sa durée de conservation et d’en tirer des produits dérivés, tels sont les objectifs de la province en termes de développement de l’élevage.

Le deuxième créneau à valoriser est le tourisme, national et international. Durant le week-end, les plages du lac de Muhazi sont prises d’assaut par de nombreux Kigalois en quête de baignade et de tranquillité. Uambo Beach est incontestablement l’endroit le plus couru. D’autres infrastructures sont en cours de réalisation pour absorber une demande de plus en plus forte. Quant au tourisme international, l’atout de la province a pour nom le parc de l’Akagera. La biodiversité de cette réserve naturelle est très attractive, d’autant qu’elle se situe à quarante-cinq minutes de l’aéroport international de Kanombe. Toutefois, la région manque cruellement de capacités hôtelières. L’écotourisme ne s’embarrasse pas de palaces cinq étoiles, mais même les espaces aménagés pour le camping aux abords des multiples lacs et du Parc de l’Akagera sont rares. « Il s’agit de multiplier les résidences de vacances, affirme Aimable, cadre originaire de la région, et de créer de nouvelles prestations avec l’aménagement des sites historiques et archéologiques. »

En termes de pauvreté et d’infrastructures, la province orientale ne se distingue pas des autres régions du pays. « Pour atteindre les Objectifs du millénaire [réduire de moitié le nombre d’habitants vivant avec moins de 1 dollar par jour, NDLR], nous n’avons d’autre choix que l’urbanisation des populations rurales, affirme le gouverneur Théoneste Mutsindashyaka. Pour cela, un seul remède : l’habitat regroupé. » En effet, la répartition spatiale de la population ne favorise pas la prestation des services publics : l’approvisionnement en eau potable, la distribution d’électricité ou l’accès aux centres de santé. Le regroupement des populations faciliterait l’accès aux écoles, souvent distantes des habitations de plusieurs kilomètres. « Mon projet est de faire de Rwamagana la deuxième ville du pays après Kigali, rêve tout haut Théoneste, cela réglerait bien des problèmes de développement durable. »


Pyrèthre et primates contre pauvreté au Nord

Boniface Racuga, ancien préfet de Ruhengeri, est aujourd’hui gouverneur de la province du Nord, une région présentée comme le grenier du Rwanda pour les performances de son agriculture, qui doit autant au travail de ses paysans qu’à la fertilité de ses terres volcaniques. Deux atouts distinguent cette province (1,56 million d’habitants) des autres régions du pays : le pyrèthre et les gorilles de Virunga.

En 1999, on comptait 300 cultivateurs de pyrèthre, produit de base utilisé pour la confection d’insecticides. Quatre ans plus tard, ce nombre avait atteint 26 000 planteurs, la surface cultivée passant de 150 à 3 000 hectares. Outre la disparition des abacengezi, nom donné aux rebelles infiltrés du Congo voisin, qui a contribué au retour des réfugiés sur leurs terres et à la reprise de leur activité, il y a eu l’effet Sopyrwa (Société de pyrèthre du Rwanda). Cette entreprise privée a entamé, en 2000, l’exportation de fèves sèches. En 2001, la Sopyrwa soumissionne, avec succès, lors de l’avis d’appel d’offres lancé à l’occasion de la privatisation de l’entreprise publique, paralysée depuis 1997 par la destruction partielle de son usine de traitement des fèves de pyrèthre. Coût de l’acquisition : 1,2 million de dollars. La réhabilitation de l’usine nécessite un investissement de 1,8 million de dollars qu’elle réalise sur un financement de la Banque rwandaise de développement (BRD). La surface plantée a été portée de 3 000 à 5 000 hectares, et s’étend à la région voisine de Byumba. La ville est aujourd’hui le nouveau chef-lieu de la province du Nord, qui dispose d’un second atout : les gorilles à dos argenté.

Les primates constituent une curiosité pour des milliers de touristes qui se rendent au nord du Rwanda. Paul Muvunyi, homme d’affaires, ne cache pas sa fierté d’avoir reçu dans le Gorilla Mountains Nest Lodge, le nouvel hôtel qu’il a réalisé à Kinigi, à 13 kilomètres de Ruhengeri, un membre de la famille Rockefeller. Outre la création d’une cinquantaine d’emplois directs, le complexe touristique permet à des dizaines de paysans d’écouler leur récolte quotidienne. Le Gorilla Mountains Nest atteint un respectable taux de remplissage de 80 %.

Les défis qui attendent Boniface Racuga, ses collaborateurs et les nouvelles autorités locales sont nombreux. Dans cette région caractérisée par une forte pluviosité, plus de 300 000 personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Les dégâts occasionnés par les abacengezi (destructions d’infrastructures, incendies d’écoles et de centres de santé) handicapent toujours la province du Nord. La priorité du gouverneur ? Faire aboutir un projet de financement par la Banque mondiale d’un transfert d’eau du lac Kivu pour approvisionner Ruhengeri, Byumba et les autres centres urbains de la province. Coût de l’opération : 60 millions de dollars.


Le Sud entre culture et agriculture

Un Rwandais sur quatre vit dans la province méridionale, dont le chef-lieu est Nyanza, capitale royale jusqu’au milieu du XXe siècle. Outre la densité de sa population (plus de 600 personnes au kilomètre carré dans certains secteurs), la province du Sud est l’une des plus « urbanisées » du pays. Trois grandes agglomérations se suivent sur quelques dizaines de kilomètres : Gitarama, Bakagwa et Ruhango. Mais le plus grand centre urbain reste Butare, l’une des plus anciennes villes du Rwanda. Outre sa taille (plus de 200 000 habitants) et sa proximité avec le Burundi, Butare est connu pour son université, la plus grande du pays. Mais son statut de capitale du savoir est menacé par Bakagwa et son université, et les nombreux instituts que compte Gitarama. L’objectif affiché par le gouverneur Eraste Kabera est de faire de sa province une région à fort rayonnement scientifique. Sa priorité en matière de lutte contre la pauvreté est de construire une école par cellule et un lycée par secteur. De l’ouvrage en perspective.

Sans se détourner de l’agriculture qui occupe plus de 90 % de la population, Eraste Kabera entend promouvoir le regroupement des exploitations pour que les paysans puissent enfin accéder aux crédits bancaires et à la microfinance. « Les coopératives ont des vertus insoupçonnées, précise-t-il. Elles favorisent l’habitat regroupé que nous appelons imidugudu [des villages composés d’une centaine de familles, NDLR]. Cela nous permettrait d’améliorer les services que nous devons à nos administrés, d’une part, et, d’autre part, cela rationaliserait la gestion du foncier. Le regroupement des populations devrait libérer les surfaces consacrées à l’habitat pour qu’elles retrouvent leur vocation initiale : l’exploitation agricole dont la taille moyenne actuelle, moins de 0,8 hectare, ne permet aucune politique de modernisation ni d’industrialisation. » Un accroissement des surfaces permettrait d’intensifier l’exploitation et de doper les rendements.

Les projets de développement se bousculent dans la tête d’Eraste Kabera. Restent les problèmes de financement. La décentralisation confère aux autorités locales la gestion de la fiscalité. Mais les gros contribuables ne sont pas légion au Sud. C’est pourquoi le gouverneur envisage de faire financer le développement de sa province par le secteur privé en prenant des mesures incitatives pour séduire les investisseurs locaux, publics ou privés, et étrangers.

Si Nyanza devait un jour retrouver son lustre d’antan, elle le devra moins à la réhabilitation de son palais royal, désormais converti en musée de l’Histoire précoloniale, qu’au développement des instituts universitaires existants et à la modernisation des exploitations agricoles de la province.
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