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 Rwanda Film Festival et portrait du Rwanda

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ibukafrance
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Rwanda Film Festival et portrait du Rwanda Empty
MessageSujet: Rwanda Film Festival et portrait du Rwanda   Rwanda Film Festival et portrait du Rwanda Icon_minitimeMer 2 Mai - 6:39

Reportage

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Le public du Rwanda Film Festival, dans le stade de Butare. - Alexis Cordesse pour Télérama
La survie, mais à quel prix ?


L’économie repart, mais les blessures restent ouvertes. A l’occasion d’un festival de cinéma itinérant, portrait d’un pays cadenassé, où la réconciliation est loin d’être acquise.


Des montagnes. Encore des montagnes. Hautes mais douces. Et si vertes, si paisibles. Ce pourrait être la Suisse, si ce n’étaient les bananiers et les eucalyptus, à perte de vue. Combien de voyageurs tout frais débarqués ont-ils eu du mal à croire qu’ils se trouvaient là au cœur même de l’Afrique, celle des grands lacs et des collines luxuriantes. Celle aussi, où, pour reprendre les mots de l’écrivain polonais Ryszard Kapuscinski, le diable est passé il y a maintenant treize ans, en 1994 – le génocide des Tutsis par les Hutus a fait entre huit cent mille et un million de morts en cent jours. Justement, où en est le Rwanda de l’après-jenoside, comme on dit ici, en kinyarwanda ? « Le Rwanda tourne la page », répète à l’envi la propagande officielle. Nous sommes venus voir de plus près, le temps d’un festival de cinéma, le seul du pays qui se promène de colline en colline – ce qui lui vaut son surnom : « Hillywood ». Tout juste débarqués de Kigali, la capitale, nous voilà donc crapahutant sur une route serpentine à l’asphalte impeccable, construite par les Chinois ou les Suisses, le chauffeur ne sait plus très bien. Et autour de nous, les collines qui défilent, monotones, alanguies.

Mercredi, au stade de Kibuye
Kibuye. Son lac – le sublime lac Kivu – où tout, les berges douces, l’air cristallin, la lente danse des pirogues, incite à la rêverie. Son tout nouveau projet de musée de l’environnement. Et son stade. « Tu verras, au Rwanda, nous a prévenu la gracile Rosette, notre traductrice d’un soir, tout se passe dans les stades : les rassemblements, les matches, les débats… » Et en cet après-midi de la fin mars, le troisième Rwanda Film Festival. Voilà bientôt deux heures que nous sommes assis sur la pelouse, face au grand écran gonflable. Autour de nous, plusieurs centaines d’écoliers en uniforme et en rang, de femmes avec nourrissons, de paysans venus des alentours – et une petite armada de policiers armés, sur le qui-vive. On scrute le ciel, et les nuages anthracite qui s’amoncellent en ce début de saison des pluies. Mais toujours pas de film à l’horizon.
Au Rwanda Film Festival, avant la projection, on a droit au sponsor officiel et à ses animations. MTN et son logo jaune citron. Soit le principal opérateur de télécoms, parti d’Afrique du Sud à la conquête du continent, jusque dans les collines pauvres et reculées du Rwanda, « car même ici, tout le monde rêve d’avoir un portable ! », dixit MTN. Il faut débourser plus de 25 000 francs rwandais (environ 34 euros) pour s’offrir un Nokia – une fortune pour les habitants des collines dont plus de 60 % vivent avec moins de 1 euro par jour –, mais peu importe. MTN est le parfait symbole de ce nouveau business censé métamorphoser le pays en puissance économique dès 2020, selon le grand dessein – « the twenty twenty vision » – du président Paul Kagame, fasciné par le Singapour de Lee Kwan Yew. Ultra-libéral en matière économique. Omnipotent, terrorisant, en matière politique.
Pour l’heure, l’animateur MTN tout de jaune vêtu fait l’article sur le camion jaune aménagé en scène. Blagues et jeux de chaises musicales, trio de danseurs ougandais qui se déhanchent sur un rap en swahili : c’est ambiance bords de plage à Kibuye, à la rwandaise. Tout en retenue, sans effusion. Il faut dire que, sur le petit stade, quand un gamin sort du rang, enhardi par la musique, il est vite rabroué par un policier. « Allez, je répète la question : une carte à 1 500 francs permet-elle de téléphoner deux semaines ? Tu sautes une fois si c’est vrai, tu ne sautes pas si c’est faux. » Sur la scène, trois candidats s’exécutent maladroitement, sous les rires de la foule. « Allez, on les applaudit bien fort, et n’oubliez pas, MTN est avec vous, everywhere you go ! »
Sous sa casquette MTN, Jean-Pierre, le gagnant du jeu des chaises musicales, sourit timidement, son cadeau – « un Motorola ! » – à la main. Il s’est installé à Kibuye, « après avoir fui Butare ». C’était il y a treize ans, en avril. Jean-Pierre a aujourd’hui 30 ans, et le regard des rescapés, reconnaissable entre mille. « Je ne veux pas y remettre les pieds, celui qui a tué toute ma famille a été libéré. On n’a pas assez de prisons et partout les tueurs reviennent. Ici aussi... Mais comment faire ? » Comment faire, en effet, sur ce territoire minuscule, moins grand que la Belgique, mais qui compte 320 habitants au kilomètre carré ? Comment faire, quand bourreaux et victimes vivent côte à côte ? Et quand on sait que toute l’histoire des rapports entre Tutsis et Hutus n’est qu’une suite de massacres, de migrations forcées et de haine déchaînée, jusqu’au génocide des premiers par les seconds ? Pardonner, réplique le régime, qui a trouvé un slogan, « La réconciliation nationale ». Quand on lui demande s’il a pardonné, Jean-Pierre répond « oui ». Comme la plupart des rescapés, il n’a pas d’autre choix. Et, tandis que le public reprend en cœur le slogan de l’opérateur au logo jaune citron « Y’ello ! Y’ello ! », nous revient en mémoire qu’il y a treize ans, le 18 avril, plus de dix mille personnes ont été massacrées ici même, sur la pelouse du petit stade de Kibuye, au bord du si paisible lac Kivu.

Mercredi, trois heures plus tard
18 heures. Une nuit d’encre vient d’envelopper le stade. Et soudain, c’est Cinema Paradiso au pays des mille collines. Pas un souffle, pas un mouvement. Juste des centaines d’yeux brillants rivés sur Hey Mr DJ, le film en kinyarwanda d’Ayuub Kasasa, et autant de bouches entrouvertes. Sur l’écran, Mister DJ, casquette, tee-shirt et démarche chaloupée, embrasse la douce Epiphanie. Choquant, dans un pays où l’on intériorise le moindre sentiment, la moindre opinion, et où les couples ne se tiennent jamais la main en public. Dans le stade, les sifflements fusent. Une heure plus tard, après avoir appris la séropositivité d’Epiphanie, l’avoir violemment rejetée, puis découvert qu’il était lui-même séropositif depuis des années, et beaucoup pleuré – re-re-sifflements, « un homme, ça pleure pas ! » –, Mister DJ se marie avec Epiphanie. Sous les applaudissements. Ce soir, il peut pleuvoir des cordes, peu importe. La frêle Charlotte n’a pas bougé, debout depuis plus de quatre heures, son bébé enveloppé contre elle à l’africaine, et fascinée par cet écran qu’elle découvre pour la première fois. « Il n’y a jamais de divertissements par ici. Chez nous, il n’y a que la radio. »
Est-ce parce que la plupart des productions internationales réalisées au Rwanda – Hotel Rwanda, Sometimes in April, Shooting Dogs, etc. –n’en finissent pas d’interroger le génocide ? Les films des jeunes réalisateurs locaux détonnent. Sur fond de rap et r’n’b, on y parle d’amour, de sexe, dans un mélange de naïveté, d’humour, de morale et de fascination pour la culture US. Des problèmes du Rwanda d’aujourd’hui, aussi : les enfants des rues, le sida, la pauvreté, la prostitution féminine – et masculine… « Il y a tellement de blessures non refermées, de traumatismes. On sait tous ce qui s’est passé ici, dit Omar, l’un des cinéastes. En 1994, les cadavres étaient partout, c’était l’obscurité. On a tous recommencé la vie à zéro. C’est de cette réalité-là, celle d’aujourd’hui, que j’ai envie de parler. » « Les gens ont aussi besoin de rigoler, de passer à autre chose », ajoute Eric Kabera, le fondateur du festival. Lui qui a produit et réalisé plusieurs films sur le génocide rêve de développer « un vrai marché du cinéma, comme au Nigeria » et travaille à une « comédie romantique ». Son titre : Minijupe.

Jeudi, au stade de Butare
A l’écran, un groupe d’interahamwe (miliciens hutus extrémistes) se prépare en chantant pour le massacre, machette à la main. Dans le stade de Butare, les rires explosent. Qu’y a-t-il donc de si drôle dans cette scène-clé d’Une lettre d’amour à mon pays, seul film parmi la jeune production du Rwanda Cinema Center à aborder le génocide ? Et pourquoi ces sifflements qui, peu après, accueillent le mariage des deux jeunes héros, Marta la Tutsie et Rukundo le Hutu ? Plus tard, Thierry Dushimirimana, le jeune réalisateur du film, nous affirmera n’avoir « pas vu ce genre de réaction avant. Peut-être que le public se protège par le rire, la dérision… ».
Une chose est sûre : le malaise est partout palpable et l’on se mélange peu, même à Butare, principale ville universitaire du pays, naguère si métissée. Les mariages mixtes dont Thierry rêve tant – « ce serait le signe, enfin, que tout va bien » – restent moins nombreux qu’avant le génocide. Bien sûr, il y a le discours officiel : nous sommes tous rwandais. Interdit de parler de Hutus (85 % de la population), de Tutsis (14 %), ni de Twas (1 %), sous peine d’être poursuivi pour « divisionnisme ».
Mais la mention de l’appartenance a beau avoir disparu des cartes d’identité, l’unité de façade se lézarde vite. « Personne n’ose le dire en public, mais il est assez facile de savoir qui est qui », reconnaît l’un de nos interlocuteurs, à l’abri des regards. « Non par l’aspect physique – car il y a eu tellement de mariages mixtes pendant des années – mais par des détails de langue, de parcours. Par exemple, es-tu francophone (plutôt Hutu) ou anglophone (plutôt Tutsi) ? As-tu quitté le Rwanda après 1959 (date des premiers massacres de Tutsis par les Hutus) ? Où vivais-tu avant le génocide, en Ouganda, en Tanzanie, au Burundi (Tutsi anglophone), au Congo (Tutsi francophone) ? Et quand es-tu revenu au pays, en 1994 (Tutsi de l’extérieur) ou après 1996 (Hutu) ? » Et puis, ajoute un autre, « dire qu’on est tous rwandais, ça permet de camoufler une donnée essentielle : le pouvoir est aux mains de la minorité tutsie anglophone, revenue en 1994 après que le Front patriotique rwandais (FPR) de Kagame a mis fin au génocide. »

Vendredi, Kigali, hôtel Serena
Jusqu’ici, on n’avait pas vu venir l’autre grand « sponsor » du festival. Il a fallu attendre le retour à Kigali et la soirée d’inauguration pour qu’on remarque la citation au dos du programme de l’édition 2007 du festival. Signée : « His Excellency President Paul Kagame. » Ce soir-là, tout le monde parle anglais (1) et les organisateurs ont mis les bouchées doubles : location des salons d’honneur du très chic hôtel Serena, invitations envoyées à la belle société de Kigali. Et, au final, un petit bijou de soirée de propagande, retransmis en direct sur l’unique chaîne de télé du pays, avec en point d’orgue et en exclusivité mondiale (« le film n’a pas encore trouvé de distributeur ») : Rwanda Rising, véritable clip de pub pour le régime Kagame et pour son auteur, Andrew Young, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès Nations unies, ex-maire d’Atlanta, qui s’est fait le chantre du « nouveau Rwanda » : « Grâce à un homme, Paul Kagame, et à son peuple, le Rwanda va devenir la Silicon Valley du continent africain ! »
Dans la salle, on applaudit poliment, y compris ce cadre du ministère de la Santé, assis au second rang et tout frais sorti de prison – huit mois pour « insubordination ». « A-t-il un autre choix ? s’interroge un participant. Au Rwanda, il y a une vraie liberté d’entreprendre, des affaires se montent et le pays se reconstruit. Mais mieux vaut ne pas critiquer le régime. Et ne jamais s’attaquer au président. » Et pour cause ! Les rares journalistes qui osent enquêter sur l’entourage de Kagame, la corruption des responsables, les massacres de Hutus commis par les troupes du FPR pendant et après sa prise de pouvoir, se retrouvent en prison. Ou à l’hôpital, salement amochés, comme Bosco Gasasira, directeur de l’hebdo Umuvugizi, il y a quelques semaines. « C’est simple, il n’y a plus d’opposant dans le pays. On vit tous dans un climat de suspicion, de tension. Cela dit, le gouvernement n’a pas besoin de faire beaucoup d’efforts : la majorité des gens ici a été habituée à obéir… »
Au fil des années, le pouvoir tutsi n’a cessé de se durcir. « C’est le seul chemin possible. Kagame est le seul qui tient le pays, et l’armée. On ne doit notre survie qu’à notre soumission », disent la plupart des Rwandais. Tandis que les autres dénoncent l’« instrumentalisation du génocide » sur laquelle s’appuierait le pouvoir pour asseoir sa légitimité et récolter des fonds de la communauté internationale. Et parlent d’un retour de la dictature comme dans les années 90. Avec une différence : « Cette fois, ce sont les Tutsis, appuyés sur les Hutus de service, qui tiennent tout. » Avec le risque aussi, que « ça » recommence.

Samedi, Kigali, nouveaux quartiers
Andrew Young avait raison : il y a bien un nouveau Rwanda. Certes, il ne concerne qu’une petite minorité, mais il prospère, ici, dans les nouveaux quartiers de Kigali. La ville, naguère grosse bourgade miséreuse, se transforme. Par endroits, on se croirait en Afrique du Sud. Ici et là, entre un panneau de pub pour Desperate Housewives et un autre pour inciter à payer ses impôts – « Qui paye ses impôts bâtit sa nation » –, surgissent des villas modernes avec paraboles. Des centres commerciaux, comme celui, flambant neuf, de l’Union Trade Center, avec son supermarché aussi bien fourni qu’à Londres ou à Paris, et son Bourbon Coffee Shop. Et sur un ancien terrain de la police municipale, surplombant la ville, l’impressionnante ambassade des Etats-Unis. Les pauvres, eux, sont systématiquement repoussés vers la périphérie, mais ça, Mr Young n’en parle pas.

Lundi, Kigali, mémorial de Gisozi.
C’est aussi un bâtiment neuf, mais discret, à flanc de colline, avec un grand parking désert. Ce jour-là, on accède difficilement au mémorial de Gisozi ; la route est en travaux, en prévision des commémorations du 7 avril. Dans l’auditorium, à côté des salles qui exposent les photos, les témoignages, les ossements, on parle « cinéma et génocide ». Les visages sont tendus. En contrebas, les fosses communes. Et devant les grandes dalles de marbre noir sur lesquelles on a commencé à graver des noms de victimes, Simon, rescapé « miraculé » de l’Ecole technique de Kigali, reconnaît un nom. Puis un autre. Et s’écroule en pleurs .

Weronika Zarachowicz
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