Rwanda, 13 ans après le génocide. Une expérience originale d’organisation et de gestion d’une cité africaine.
Le communiqué publié lundi dernier par le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna, demandant aux moto taxis de se conformer à la réglementation sur le port du badge au plus tard le 30 juin prochain prêtera certainement à sourire chez ceux qui, ces dernières années, se sont rendus à Kigali, la capitale du Rwanda. En un clic sur un ordinateur central installé dans un bureau de la mairie de la capitale rwandaise, on peut avoir des informations exactes sur l’identité des près de 9.000 motos taxis qui opèrent dans la ville. Le procédé est simple : chaque propriétaire de moto taxi a déposé un dossier auprès des services compétents, en présentant deux casques (l’un pour lui et l’autre pour le passager) et s’est vu remettre, en retour, un badge et un chasuble portant un numéro de série. Au premier problème et à n’importe quel endroit de la capitale, le signalement permettra de remonter rapidement la filière…
La même organisation concerne les bus et minibus qui assurent l’autre partie du transport public dans la ville, à travers un système semi libéralisé de ramassage des clients, principalement des quartiers périphériques vers le centre commercial et administratif le matin, et l’inverse le soir. L’organisation est semi libéralisée parce qu’y exercent à la fois un opérateur contrôlé par l’Etat et de nombreux opérateurs privés, qui ont multiplié des bus et minibus sur des lignes précises qui permettent de couvrir toute la ville.
Le taux de ramassage, pour les taxis autant que pour les motos, varie en fonction des distances, de sorte que les taxis ont été érigés à Kigali, comme en Europe, en moyen de transport urbain de luxe, généralement réservé aux touristes fortunés et à quelques membres de la haute administration ayant, à l’occasion, quelques ennuis avec leurs automobiles personnels. Pour une course de 4 ou 5 kilomètres reliant un quartier périphérique au centre commercial, par exemple, vous paierez facilement 4 à 5 mille francs, c'est-à-dire autant que si vous prenez un bus à Kigali qui vous amène à… Bujumbura, capitale de l’Etat voisin du Burundi.
Certitude frappante dès qu’on sort de l’aéroport international de Kigali, bâtiment modeste (en attendant l’ouverture imminente du nouvel aéroport situé à une trentaine de kilomètres de Kigali) mais très bien tenu et aux murs fraîchement peints, plus fréquenté par Ethiopian Airlines et Kenya Airways, la propreté de la ville. Les avenues et boulevards à deux sens, avec entre eux du gazon et des arbustes aux feuillages majestueux, émerveillent par leur beauté. La plupart des grands carrefours ont connu des aménagements particuliers, avec des mini parcs gazonnés que les populations, une fois tous les deux ou trois jours, viennent entretenir en arrosant et en taillant le gazon.
Assurément, Richard Kandt, le colonisateur Allemand qui, le premier, s’établit en tant que gouverneur dans ce qui était alors un petit hameau en 1907, aurait du mal à reconnaître la ville aujourd’hui. Il en serait cependant très fier. Parce que, au moment où, à travers diverses activités, la capitale rwandais s’apprête à célébrer en octobre prochain son centenaire, quel chemin parcouru pour ce hameau qui, en ce moment, ne pouvait pas rivaliser avec Nyanza, la capitale d’alors (dans le sud du pays) qui est le siège du Mwami, le roi qui est naturellement contre la colonisation.
Plan d’urbanisation
Certes, rapidement vaincus à la Première guerre mondiale, les Allemands ont également été chassés de Kigali par les Belges, qui ont poursuivi le même travail de colonisateur, les hommes politiques amplifiant les différences entre les communautés (ingrédients du futur drame), aidés en cela par les missionnaires catholiques, qui ont multiplié les lieux d’implantation.
Un élément parmi d’autres permettrait de mieux apprécier cette transformation, ce sont les habitants. De 307 personnes au recensement de 1907, ce qui est entre temps devenu la capitale politique officielle en 1962 compte aujourd’hui bien plus de 1,2 million d’âmes réparties dans les nombreux quartiers qui n’arrêtent pas de serpenter la ville à travers les collines. Une manière d’explosion démographique qui s’est remarquée principalement au lendemain du génocide de triste réputation. Les populations tutsies qui avaient réussi à s’enfuir se sont réinstallées avec l’aide du pouvoir en place, dont la politique, en particulier dans la capitale, aura été de faciliter l’acquisition des terres à tous ceux qui, pour ces raisons de barbarie historiques, avaient été privés de leur citoyenneté.
Le centre ville reste cependant facilement reconnaissable, avec la mairie qui a pris ses quartiers dans les locaux de l’ancienne présidence de la République, là même où travailla Grégoire Kayibanda, le premier président de la République du Rwanda au lendemain de l’indépendance en 1962. Même si, tout autour, des immeubles ultra modernes ont poussé, permettant ainsi de rafraîchir ce haut lieu d’histoire. Et la capitale a conservé, comme du temps de la colonisation, un statut particulier de ville-province, Kigali complétant les quatre autres provinces pour faire les cinq unités administratives du pays, et le maire de la capitale ayant le statut de gouverneur, mais aussi de ministre, avec tous les avantages qui s’y rattachent.
Si, jusqu’en 1994, on observe un agrandissement plus ou moins désordonné de la ville, avec la construction anarchique des maisons d’habitation sur les flancs des collines, c’est avec l’avènement du plan d’urbanisation (avec création des hôpitaux, écoles, postes de police, etc), le lancement par la mairie des concours des meilleurs quartiers et la politique de l’Etat de construction de logements sociaux à standings variés (chacun épargne selon ses revenus et choisit le standing de maison qui lui convient et qu’il peut rembourser dans le temps prescrit par les sociétés immobilières privées fonctionnant avec l’agrément et la caution du gouvernement) que Kigali a véritablement commencé son embellissement, tout en se maintenant comme le centre politique, économique et culturel du Rwanda.
Aujourd’hui, entre ces quartiers construits clés en main et les bâtisses ultramodernes du centre commercial, Kigali n’a aucun complexe à se faire devant de nombreuses autres capitales africaines, et a surtout des modèles à communiquer en matière de gestion et de propreté. La ville peut également se vanter de disposer d’un complexe commercial digne des grandes métropoles occidentales ou, à tout le moins, comparable à ce qu’on a souvent vu dans des villes africaines de référence comme Johannesburg, Cape Town, Tunis ou Casablanca. Ce qui n’a cependant pas relégué au second plan quelques curiosités historiques, que les nombreux touristes, qui affluent dans cette capitale pittoresque, continuent de revendiquer.
En premier lieu, la radio des Milles collines, tristement célèbre, où furent diffusés les appels à la haine, au soulèvement et au génocide de 1994. Elle a, depuis lors, fermé ses portes et le bâtiment, au flanc de l’une des trois principales collines de Kigali, le mont Rebero (les autres sont le mont Jali et le mont Kigali), abrite les services d’une télévision privée, Télé 10, qui est loin d’afficher les mêmes ambitions et le même funeste dessein…
Autre point de curiosité historique, la paroisse Sainte Famille. La bâtisse, en briques de terre rouge, a à peine vieilli depuis son inauguration en 1913 et occupe bien sa place aujourd’hui au milieu d’un vaste patrimoine catholique du quartier Kiovu, avec, entre autres, un centre d’accueil, un dispensaire, une école primaire, une auto-école et des maisons d’habitation mises en bail auprès des particuliers. En cet après midi de vendredi 08 juin 2007, de nombreux croyants sont venus prier l’Eternel, probablement en souvenir de la partie du drame du génocide qui s’est nouée ici.
Nuits féeriques
C’est en effet à l’intérieur de cette église que certains tutsis et hutus modérés, fuyant les génocidaires, ont cru devoir se cacher pour échapper à une furie barbare. Mais c’est également le curé de cette église, aujourd’hui exilé en France, qui a discrètement appelé les bourreaux pour venir exécuter leur sombre besogne, à l’intérieur de la maison de Dieu. Toutes les traces du drame ont été effacées, mais les touristes, toujours plus nombreux, ne s’empêchent pas de venir y faire des flashes et immortaliser le lieu.
A trois minutes de l’aéroport, le Amahoro Stadium, stade de la paix, vaste complexe sportif qui abrite à la fois le terrain de football (avec des tribunes numérotées et pouvant contenir 30.000 places), un terrain de handball et de basket-ball couvert et une surface de lawn-tennis.
La ville ne manque pas d’intérêt sitôt la nuit tombée. Les noceurs trouveront rapidement leurs repères à travers les nombreux restaurants au standing varié que compte Kigali. Cuisine exotique et européenne au Papyrus, poisson braisé à la bière fraîche chez Lando, par exemple. Avant de décider d’aller terminer dans une discothèque. On pourra faire le choix des espaces populaires comme au Kbc, ou alors préférer la classe de Fair play ou Cadillac, généralement réservés aux nantis de la ville, et où le président Kagame ne manque pas souvent de venir prendre un verre. Sans jamais faire le pas de danse que plusieurs autres noctambules apprécieraient certainement. Quel que soit le choix, on est assuré de rencontrer d’incroyables créatures rwandaises, difficiles à distinguer entre hutu et tutsi, aussi jolies que disponibles au cours de ces nuits féeriques…
La ville a une impressionnante marge de progression, mais si elle semble encore balbutier sur le choix du type de véhicules autorisés à circuler, son bitume est régulièrement maintenu. Non pas à travers les marques, qui sont toutes présentes ici, des Hummer dernier cri aux vielles Hiaces fumant comme des cheminées. Mais à travers la position du volant, qui traduit le caractère hybride actuel des langues officielles. Si la conduite est celle homologuée dans les systèmes francophones (américain aussi), il y a dans la ville de Kigali autant de véhicules à volant à droite qu’à gauche. Ce qui ne manque pas de provoquer des perturbations sur la circulation, notamment dans les carrefours. D’autant que les feux de signalisation semblent avoir été négligés par les services de la municipalité. Ce qui cause les rares embouteillages que l’on observe souvent dans la cité, la réputation et les habitudes des chauffeurs étant, hélas, les mêmes dans tous les pays du monde.
L’autre secteur où il faudra se montrer plus conquérant est celui de l’hôtellerie. En six ans, de nombreux établissements hôteliers de dimension internationale ont poussé de terre. Mais il faudrait rapidement capter les investissements pour en construire d’autres, de manière à faire face à la nombreuse demande des touristes, des investisseurs et des délégués de diverses conférences internationales dont le gouvernement rwandais arrache systématiquement l’organisation. La dernière, organisée le 15 juin dernier et relative au Sida, a mobilisé 1700 délégués. Sans doute un peu trop pour la capacité hôtelière actuelle de la ville, ce qui a eu pour conséquence de faire reporter un match international de football comptant pour la Can 2008. Et qui a failli faire expulser de son hôtel l’auteur de ses lignes, qui aurait inopportunément gardé un mauvais souvenir d’une ville au séjour en tous points agréable.
Accueil 
Mer 20 Juin - 15:02