«Le Tribunal pour le Rwanda a échoué à rendre la justice»
INTERVIEW
Thierry Cruvellier a suivi durant cinq ans les procès d’Arusha. Il en tire le bilan dans un livre saisissant alors qu’un film retraçant l’escalade de la violence est sorti cette semaine.
EMMANUEL BARRAUD
Publié le 29 avril 2006
LE FILM Shooting dogs, de Michael Caton-Jones, décrit le désarroi des Rwandais devant le départ de l’ONU. / DR
Avril 1994: le Rwanda connaît l'horreur. A la suite d'un attentat contre l'avion présidentiel, qui décime le gouvernement, les Tutsis commencent à être systématiquement exterminés. Devant la violence des affrontements, l'ONU décide de retirer ses 2500 soldats. Trois mois et un million de morts plus tard, le Front patriotique rwandais (FPR), issu de la rébellion tutsie, est victorieux. En novembre, le Conseil de sécurité de l'ONU crée le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) afin de juger les responsables. Il l'installe à Arusha, en Tanzanie. Journaliste et écrivain * spécialisé dans la justice internationale, Thierry Cruvellier a suivi pendant cinq ans les audiences du TPIR.
- Pourquoi parlez-vous de justice des vaincus?
- Parce que ce tribunal, à la différence de celui qui a jugé les crimes nazis, n'a pas été mis en place par le vainqueur de la guerre civile rwandaise, le FPR, qui n'en voulait pas - du moins sous cette forme-là. Le problème, c'est qu'il n'a pas non plus réussi à être l'institution impartiale que devait garantir son caractère international.
- Pourquoi alors avoir imposé ce tribunal en Tanzanie?
- Les puissances occidentales étaient animées par le remords, provoqué par leur désengagement, lorsqu'elles ont mis en place le TPIR. L'ONU se sentait redevable d'une dette envers les Tutsis.
- Ce tribunal est un échec?
- Oui. En dix ans, seuls vingt-six prévenus ont été jugés, sur quelque nonante accusés. Et le tribunal devrait en principe fermer en 2008, car la communauté internationale veut lui couper les vivres. Mais le plus grave, c'est que le TPIR a échoué à bien juger le génocide. Il n'a fait que renforcer une vision incomplète et déformée de l'enchaînement des faits.
- Pourra-t-on tout de même tirer des leçons d'Arusha?
- Cette expérience montre d'abord que les tribunaux internationaux n'emploient pas forcément les meilleurs juristes. Ensuite, on a pu remarquer que l'ignorance du terrain qu'engendre la «déconnexion» d'un tribunal délocalisé posait des problèmes. Il faudra aussi trouver le moyen d'accélérer les procédures. Un jugement rendu quinze ans après n'a plus la même portée!
- La justice internationale a-t-elle tout de même un avenir?
- Bien sûr! Même si chaque cas de «crime des crimes» est différent, suivre les actions des divers tribunaux ad hoc est très enrichissant et instructif. La Cour pénale internationale est nécessaire et peut tirer parti des erreurs du passé; mais elle ne devrait intervenir qu'en dernier recours.
Le tribunal des vaincus. Un Nuremberg pour le Rwanda? Par Thierry Cruvellier, Ed. Calmann-Lévy.
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